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Premier séminaire du Cercle des poéticiens disparus et du Carré des esthéticiennes évanouies

Author : Marion Sénat
Date : Aug 25, 2015
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Événement

Le Cercle des poéticiens disparus et le Carré des esthéticiennes évanouies inaugureront leur premier séminaire sans professeur ni plan de cours le vendredi 11 septembre 2015 à 14 h 46 min 30 s au local DC-2300.

La conférence inaugurale sera prononcée par David Desrosiers, poéticien disparu, qui présentera son futur projet de recherche consacré à la question suivante :

Peut-on être heureux à Auschwitz ?

La plupart des idées reçues sur la « vie heureuse » ne résistent pas à l'évènement extrême que fut la déportation de millions d’innocents au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. Si l’on considère par exemple les maximes qui illustrent deux des grandes écoles rivales de l’Antiquité, soit le stoïcisme et l’épicurisme, il vient un temps où le doute s’installe de façon permanente quant à la possibilité de maintenir la validité de ces doctrines antiques face à des conditions aussi radicalement nouvelles que celles de la déportation de masse. Comme nous y invite Alain Badiou, il faut se méfier « du stoïcisme de Sénèque qui, richissime et du fond de sa baignoire en or, prônait l’acceptation du destin ». De même, le carpe diem d’Horace, qui, du poète Ronsard au professeur Robin Williams dans le film Dead Poets Society, a fait l’honneur et la probité de nos lettres, nous paraît n’avoir rien de bien sensationnel à offrir, sinon l’éloge complaisant d’une morale foncièrement égoïste qui nous enjoint à « trouver une place tranquille dans le monde tel qu’il est, sans se soucier que ce monde puisse ravager la vie des autres ». En fait, c’est la validité même d’une maxime qui recommanderait aux hommes de vivre en retrait permanent du monde et de l’histoire pour ne compter que sur leurs propres ressources intérieures — « il faut cultiver son jardin », selon la leçon de Candide —, qui nous semble mise radicalement à l’épreuve par la possibilité d’Auschwitz, comme en témoigne cet extrait de l'oeuvre de Charlotte Delbo, survivante du camp de Birkenau (Auschwitz II) : « Vous direz qu’on peut tout enlever à un être humain sauf sa faculté de penser et d’imaginer. Vous ne savez pas. On peut faire d’un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L’imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d’une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. À Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait ».

On serait porté à croire, assez cyniquement d’ailleurs, que la condition du bonheur réel se trouve alors dans l’oubli de la possibilité et même de l’existence du malheur des autres. Or, affirmer la possibilité du bonheur même dans les circonstances les plus atroces du destin constitue pourtant le pari d’œuvres littéraires comme Être sans destin d’Imre Kertesz ou Quel beau dimanche! de Jorge Semprun, pour ne citer que deux des meilleurs titres de la littérature des camps; ou encore, dans un registre fort différent de celui des témoins du monde concentrationnaire, c’est aussi le propos du film rigolo La vie est belle de Roberto Benigni. Il apparaît donc possible de trouver dans la littérature de l'extrême les éléments d’une polémique autour de la question du bonheur, et qui permettront peut-être de nous défaire enfin de la pensée ambiante qui consiste à réduire la question de la vie heureuse à celle de la satisfaction égoïste de certains désirs socialement déterminés — couple épanoui, travail intéressant, vie sociale bien remplie, etc. Il se pourrait même que les leçons que l’on peut tirer de catastrophes historiques comme celles d’Auschwitz, d’Hiroshima ou encore des camps de la Kolyma ne soient pas absolument fatales à toute recherche philosophique de la bonne vie, mais qu’au contraire elles offrent l’occasion, par-delà la critique dévastatrice, mais nécessaire des conceptions illusoires du bonheur, d’apprendre deux ou trois trucs qui permettent d’éclairer et de guider notre propre existence.

Au cours de cette session d’automne, nous consacrerons donc nos efforts à ce que nous pourrions appeler la recherche du « bonheur malgré tout », en portant plus particulièrement attention à l’une des multiples expériences qui ont un certain rapport avec la manifestation du bonheur réel dans l’existence d’un individu, à savoir l’expérience esthétique telle qu’elle peut être éprouvée loin des musées et des salles de concert, et jusqu’au sein même de la barbarie de l’univers concentrationnaire.

Pour des informations supplémentaires, nécessaires ou superflues, veuillez contacter David Desrosiers en composant le (514) 987-3000, poste 1578, ou en écrivant à desrosiers.david@uqam.ca, ou en frappant tout simplement à la porte du DC-2250.

Participants pressentis au séminaire* :
Charles-Philippe Casgrain, poéticien évanescent de troisième cycle; David Desrosiers, poéticien disparu; Vincent Filteau, poéticien fantomatique; François Gagnon, poéticien menacé d’extinction; Thomas Mainguy, poéticien obsolescent; Maxime McKinley, poéticien évanouissant; François-David Pud’homme, sémioticien fou; Marion Sénat, esthéticienne évanouie; Cosmin Thomas, poéticien défaillant; Benoît Vachon, poéticien en voie de disparition

*Le séminaire est une initiative de l’équipe de feu la Chaire de recherche du Canada en esthétique et poétique de l’UQAM, mais il est ouvert aux hommes et aux femmes de bonne volonté, sous la condition d’être poéticien/ene ou esthéticien/ene (une exception peut toutefois être faite pour les sémioticiens/enes).

P.-S. Vous êtes autorisés pour l’occasion à apporter des liquides précieux ainsi que toutes les somptuosités de bouche qui sont tolérées par les bonnes moeurs de notre établissement.
 

Participation / Organisation

Membre participant
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