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Revue Postures - Appel de textes, numéro 21: « L’enfance à l’oeuvre »

Selon l’historien Philippe Ariès, l’enfance est un concept moderne apparu après la révolution industrielle[1]. Grâce à une conjoncture de faits sociaux particuliers (baisse du taux de mortalité infantile, régulation des naissances, baisse de fécondité, etc.), la société occidentale en serait venue à situer et à définir la réalité de l’enfance en rapport avec ce que nous connaissons aujourd’hui comme la famille nucléaire, à savoir, une structure familiale restreinte, au sein de laquelle l’enfant occupe une place spécifique. En même temps que la « particularité enfantine », émergea une littérature didactique (traités, fables, contes) à l’adresse de ces enfants. Pensons aux Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur dont on se servait pour discipliner les jeunes filles, ou encore à L’Émile ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau, qui rassemblait les indications pédagogiques nécessaires à l’éducation idéale de l’homme social.

L’enfance, à l’orée du XXe siècle, devient un objet d’étude privilégié, occupant les penseurs de différentes disciplines : John Locke, philosophe, conçoit l’esprit de l’enfant comme une tabula rasa : une page blanche vide d’idées innées devant être remplie par l’expérience; Freud propose en 1905, avec ses Trois essais sur la théorie de la sexualité,une théorie alors inédite voulant que l’enfant connaisse une vie sexuelle qui détermine sa vie désirante adulte; Jean Piaget, influencé par la psychanalyse, se propose d’étudier les « stades de développement » chez l’enfant, une analyse qui marquera de façon déterminante la sphère de la psychologie. Au cours de la première moitié du siècle apparaissent également plusieurs figures de l’enfant, les Peter Pan (l’enfant qui ne vieillit pas) et Lolita (l’enfant sexualisée), qui cristallisent une certaine fascination pour cet objet. Plus tard, au Québec, les narrateurs enfants de Réjean Ducharme, Bruno Hébert et Gaétan Soucy, pour ne nommer que ceux-là, connaitront une incontestable popularité.

Bien ancrée dans l’imaginaire et le sens commun, l’enfance s’entend comme le socle de l’identité, une période qu’auteurs et auteures en littérature vont chercher à investiguer après coup, pour se connaitre vraiment. Plusieurs œuvres autobiographiques sont célèbres pour avoir accordé une attention marquée au matériau infantile. Proust, dans sa Recherche du temps perdu, retourne en enfance en dépliant certains signifiants qui ont laissé une trace sensible dans sa mémoire. Dans l’œuvre Enfance de Nathalie Sarraute, il s’agit d’établir un dialogue entre l’auteure et son moi enfant. Marguerite Yourcenar, dans ses Souvenirs pieux, constate le nécessaire recours à la fiction pour reconstituer son propre roman familial. Annie Ernaux, quant à elle, revisite ses souvenirs d’enfance avec une écriture dépouillée, sans affect, pour véritablement les mettre à plat. Ces œuvres, parmi d’autres, montrent que l’origine se conjugue au présent, que l’enfance n’est pas une période figée dans le passé de l’individu et que la littérature est son lieu de surgissement par excellence.

C’est dans cette optique que nous vous invitons à réfléchir, pour ce numéro de Postures, à des œuvres ou des problématiques littéraires où l’enfance, plus qu’une simple thématique, œuvre à même le texte et s’annonce comme un motif d’écriture qui met en question le rapport au sujet.

Créée en 1996 afin d’offrir un lieu de publication scientifique aux étudiants et étudiantes en études littéraires (du premier cycle au postdoctorat), la revue Postures réunit chaque année une dizaine de textes articulés autour d’une problématique d’actualité dans les milieux littéraires et intellectuels. Les textes proposés, d’une longueur de 12 à 20 pages à double interligne, doivent être inédits et soumis par courrier électronique, à l’adresse postures.uqam@gmail.com avant le 31 octobre 2014. La revue Postures offre dorénavant un espace hors dossier pour accueillir des textes de qualité qui ne suivent pas la thématique suggérée. Les auteurs et auteures des textes retenus devront participer à un processus obligatoire de réécriture guidé par le comité de rédaction, avant leur publication.


[1] Ariès, Philippe. L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Paris : Plon, 1960.