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Poétique de l’enquête dans le roman français contemporain

Projet de recherche

Période d'activité: 
2008 - 2011
Chercheur principal membre: 

Le programme proposé consiste à mettre en lumière la poétique de la forme romanesque de l’enquête dans le champ de la littérature française contemporaine (mais à l’extérieur du roman policier), de même que ses enjeux littéraires, philosophiques et culturels.

Si la forme particulière de l’enquête n’est évidemment pas propre aux deux dernières décennies du XXe siècle (le genre policier depuis Gaboriau est là pour en témoigner) ni à sa littérature non policière (qu’on pense à Butor, Robbe-Grillet, Eco, Auster), il reste qu’un ensemble de romans de plus en plus vaste l’exploite depuis les années 1980 : en attestent plusieurs œuvres de Patrick Modiano, Olivier Rolin, Arnaud Cathrine, Béatrice Hammer, Gisèle Fournier, Belinda Cannone, Claude Ollier, Éric Chauvier, entre autres. C’est cette poétique bien particulière, ainsi que le sens philosophique, littéraire et culturel de son expansion, que le présent projet veut chercher à saisir.

Ce projet comprend deux volets. Le premier, poétique, consiste à décrire cette forme particulière. On prendra naturellement appui sur les recherches déjà menées dans le domaine du roman policier, surtout, pour mesurer l’écart entre cette forme canonique relativement stable et ses avatars contemporains qui, peu ou prou, désorganisent ou réorganisent le modèle original.

Notre attention se portera premièrement sur la mise en scène des deux actions (l’action investigatrice et l’action à élucider) – tensions, équilibres, incompatibilités –, la médiatisation et la modalisation de l’accès à l’action à élucider, ainsi que les formes de l’entrave (intérieure et extérieure) sur le chemin de l’enquêteur; deuxièmement, sur le dialogisme constitutif de ces textes (multiplicité des hypothèses, des témoignages, des versions) et ses modalités, ainsi que sur le pluriel fictionnel qui en découle; troisièmement, sur le jeu entre la concordance et la discordance qui se déploie au sein de ces fictions.

Le second volet consiste à prendre la mesure des enjeux littéraires, philosophiques et culturels de cette forme, enjeux solidement ancrés dans le contemporain. De celui-ci, ils révèlent une complexité et une exigence qui naissent au croisement problématique des leçons, bien entendues, d’une histoire littéraire et intellectuelle qui a ruiné, presque jusqu’à la paralysie, une confiance trop naïve dans les vertus du langage, et d’une exigence neuve de transitivité de l’écriture et du discours. Ici aussi, trois aspects seront privilégiés.

Premièrement, une méditation sur le temps qui donne sens à deux aspects distincts de la temporalité : d’une part, la distance temporelle perçue comme fracture ou perte; d’autre part, un régime d’historicité spécifique et indépendant du présentisme, privé d’avenir, où le présent (l’enquête) ne vaut que de permettre et d’empêcher le retour d’un passé (l’action à élucider) qui déjà lui donne sourdement forme. Deuxièmement, une méditation sur l’action et le récit, où l’on tente d’explorer les diverses manières de donner sens à l’agir humain (du geste intime et presque impénétrable aux déterminations historiques ou sociologiques qui pourtant laissent une part d’ombre) et de fonder la possibilité de raconter malgré tout (malgré le soupçon, la remise en question de l’autorité narrative, l’invention sémiotique). Troisièmement, une méditation sur l’agent et le sujet humains, entre le semblable et l’Autre, celui en qui l’on se retrouve et celui qui échappe, que l’on croit connaître et dont on découvre qu’on l’ignorait, qui se décline sur le mode de l’identité et qui se révèle inaccessible; plus radicalement encore, c’est la vie humaine qui se redessine dans ces fictions, soumise, par delà les figures conventionnelles du mensonge ou de l’inconscient, à des rythmes et des ruptures qui échappent à l’œil de celui qui les vit comme de ceux qui le côtoient.