"La chasse est le fond de l'art", pense Pascal Quignard (Abîmes, Dernier Royaume III, 2002) Comment accueillir cet énoncé? Comment se débrouiller avec la part de mystère qu’il implique? L’énoncé — « La chasse est le fond de l’art » — est sans doute moins énigmatique si on le situe dans les limites de l'oeuvre. Chez Quignard, en effet, on retrouve une longue méditation sur l'attente ou le "guet" (quand le regard prend forme dans un scénario de chasse) ; ou une méditation sur le mimétisme animal (quand l'image prend forme dans un scénario de prédation) ; mais l’énoncé, il me semble, n’en demeure pas moins ouvert, et nous offre plusieurs entrées. Nombreux sont les écrivains qui ont jugé, à un moment ou l'autre, qu'il fallait imaginer la prédation, la chasse ou la dévoration animale pour penser l'art, l'imaginaire ou le regard. Ainsi, d’après Annie Le Brun, doit-on considérer avec une attention nouvelle « la succession des innombrables scènes de chasse qui, depuis la préhistoire, ont ponctué l’histoire de la représentation » (Si rien avait une forme, ce serait cela, 2010). C’est d’ailleurs tout un imaginaire de la « cible » que l’on voit se confirmer lorsqu’il s’agit de penser ce qui relie « la création et la destruction, mais aussi le regard et le désir » ; en somme, pour Annie Le Brun, « ce qui se joue d’incontrôlable entre la vue et la vision comme entre l’ombre et la proie » (Cibles, 2012). C’est pourquoi l’imaginaire de la prédation se construit comme un rêve — le rêve de la proie imaginée —, dont l’autre versant est violence et cruauté Il en est ainsi, d’après Didi-Huberman, du « beau rêve » de la Renaissance qui ne cesse d’entretenir une indéniable fascination pour l’image de Vénus, alors même que l’image se retourne sur son envers, lorsque la hantise de la beauté, qu’elle incarne, s’ouvre sur un corps qu’il s’agit de traquer (Ouvrir Vénus, 1999). Logique du retournement et du renversement spéculaire dont témoigne aussi le mythe de Diane et Actéon au moment où le scénario de prédation se retourne contre celui-là même qui chasse la beauté, pour le confronter à son propre devenir animal. Retournement fatal, qui fait du prédateur la proie dévorée, et la proie, un piège pour le regard.
Cette journée d’étude propose de présenter différents scénarios de prédation de façon à réfléchir sur la logique de l’imaginaire qui préside à leur élaboration spécifique. À partir d’une oeuvre littéraire, théorique, cinématographique ou picturale, il s’agira d’analyser et de discuter ce qui se dessine entre le regard et la proie. Si la chasse est le fond de l’art, comme le dit Pascal Quignard, n’est-ce pas parce que le scénario de prédation entretient un lien logique dans notre rapport aux images comme au monde de la représentation?Dans ce cas, sur quoi se dessine le lien entre une certaine conception de l’image (tributaire de notre conception de l’art, de l’imaginaire ou du regard) et la « scène de chasse » imaginée par les artistes ou les écrivains? Qu’est-ce que cela implique que de considérer la proie comme une modalité spécifique de l’image? Que gagnons-nous à penser la prédation pour penser le regard?