Si l’association femme-folie est devenue un poncif dans les discours médicaux des XIXe et XXe siècles et dans les œuvres littéraires, c’est qu’elle traduit en le somatisant le malaise des cultures qui ne répondent pas à la nécessité de repenser l’image du féminin, les rapports entre les sexes et les rapports entre les langues, dans une société en voie de laïcisation, d’industrialisation et d’émancipation. Autant de migrations sociétales dont ne peuvent plus rendre compte les codes moraux traditionnels.
Le malaise des cultures dont Freud a décrit combien il cristallise dans le langage, ce malaise aujourd’hui a pris une ampleur sans précédent du fait des migrations et des exils généralisés. Il y va aussi du fait d’une revendication des « folles littéraires » comme esthétique de la création : comme avant-gardes célébrant génie et voyance des créatrices surréalistes (Leonora Carrington, En bas ; Unica Zürn, L’Homme-jasmin), comme excentricité en réponse à des situations de décentrement socio-culturels (par exemple Janet Frame en Nouvelle -Zélande) ou l’avènement d’une écriture au féminin dans les années 1970 (Emma Santos, Marguerite Duras, Nicole Brossard, France Théorêt) jusqu’à ses avatars récents (Chloé Deleaume, Le Cri du sablier ; Marie-Sissie Labrèche, Borderline).
Il y va aussi du fait des déplacements des populations sous le joug colonial. Ainsi les écrivains caribéens qui ne peuvent raconter que de façon fragmentaire la mémoire sans passé, les histoires sans Histoire des esclaves arrachés à leurs racines, n’ayant pour matrice que le ventre du bateau négrier et la folie pour ultime possibilité de re-création et de re-naissance dans le processus même de la perte. Paradoxe de la perte qui rédime. On travaillera notamment sur Marie Vieux-Chauvet, Amour, colère et folie ; Jean Rhys, La Prisonnière des Sargasses ; Ernest Pépin, Tambour –Babel.
De multiples questions se posent : quelle place les écrivains accordent-ils à ces « folles littéraires » et aux figures diversifiées qu’ils élaborent ; qu’advient-il à l’écriture dès lors que ces (anti-)héroïnes de papier s’incarnent selon différents genres, sous forme romanesque, poétique, opératique, picturale et théâtrale ? Dès lors, peut-on parler d’une poétique de la folie dans les mêmes termes qu’on a évoqué la beauté de la folie chez les écrivains dans Les fous littéraires d’André Blavier ? Devenir « folle en pleine raison », pour citer Duras, est-ce un constat paradoxal, presque schizophrène, dont s’empareraient plus allégrement les femmes auteurs et artistes de l’époque contemporaine ? La dénomination « folle littéraire » comporte-t-elle toujours une valeur dépréciative, effet corollaire des décalages genrés entre le masculin et le féminin, tandis que la valeur laudative de « fou littéraire » demeurerait réservée au grand logophile, à l’écrivain savant ? Et, au bout du compte, que nous apporte la parole souvent désinvolte et libérée de contraintes que pratiquent le plus souvent les folles littéraires face aux menaces affolantes venant de l’Autre, des tourments inhérents à ces zones grises qui arraisonnent le sens plus que de raison ?
Vous trouverez le programme du colloque en pièce jointe ainsi que sur le site du laboratoire Thalim
*Dessin: «La Folie» de Louise Bourgeois, 1999.