Vient de paraître :
Mathilde Barraband et Jean-François Hamel (dir.), « Les Entours de l'œuvre.
La littérature française contemporaine par elle-même », @nalyses (Université
d'Ottawa), vol. 5, no 3, automne 2010.
Extrait du texte de présentation :
« L'histoire de la littérature ne consiste
pas seulement dans l'histoire des formes, mais aussi dans l'histoire des idées
formulées et agissantes », écrivait Albert Thibaudet dans son Histoire
de la littérature française. Le critique attitré de la Nouvelle Revue
Française justifiait cet énoncé de méthode en soulignant l'influence
de la pensée de Madame de Staël et du groupe de Coppet sur les écrivains des
premières décennies du xixe siècle. Plus récemment, Laurent Jenny prolongeait
cette réflexion en rappelant, en ouverture d'un essai consacré à la figuration
de la pensée dans les mouvements d'avant-garde, que « ce que nous appelons
“littérature” ne se conçoit guère sans un corps d'idées, qui pour partie la
constitue et pour partie l'interprète et lui donne sens ». Il va sans dire
que ni Thibaudet ni Jenny ne rejetaient l'étude des particularités formelles
des textes littéraires, pas plus qu'ils n'excluaient de l'histoire de la
littérature les déterminations économiques et sociales qui circonscrivent à chaque
époque l'espace des possibles. Ils entendaient plus modestement, plus
banalement peut-être, rappeler que l'histoire de la littérature est
aussi l'histoire de l'idée de littérature.
Loin de demeurer identique à elle-même, l'idée de
littérature est l'objet de discussions passionnées, de débats houleux et,
parfois, de polémiques violentes. N'ayant ni la rigueur du concept
philosophique ni l'univocité de la proposition théorique, elle se manifeste à
travers des images récurrentes et des réseaux métaphoriques; elle se déplace au
gré des appropriations, variant non seulement d'une époque à l'autre, mais dans
un même présent. Si l'idée de littérature s'exprime dans les œuvres, elle
s’explicite souvent davantage dans leurs parerga et leurs
entours, c'est-à-dire dans les lieux, parfois marginaux, toujours réflexifs,
qui sont destinés à accueillir le commentaire des auteurs sur leur pratique et
leur condition. À cet égard, le vaste ensemble de documents que Gérard Genette
regroupait sous les catégories du péritexte et de l’épitexte constitue tout à
la fois la fabrique et l'archive de l'idée de
littérature. Les entretiens, les préfaces, les notes, les conférences, les
hommages, les essais critiques, les journaux intimes et la correspondance
disent en effet, souvent mieux que les œuvres elles-mêmes, en quoi celles-ci
relèvent d'une certaine idée de la littérature et de son devenir.
L’espace littéraire français contemporain semble
multiplier sans fin les lieux propres à mettre en œuvre cette
réflexivité : les éditeurs, les médias électroniques, les institutions
culturelles et les universités sollicitent constamment le retour des écrivains
sur leur pratique ou celles de leurs pairs. Le succès des collections dédiées
aux essais ou aux entretiens d’écrivains, le développement des études
universitaires sur les écritures contemporaines, ou encore l’essor des blogs
d’écrivains et des sites consacrés à la littérature actuelle ont
considérablement élargi l'espace dévolu à la production du commentaire sur la
littérature. Force est de constater que les écrivains français contemporains,
qu’on disait peu enclins à adopter une posture de penseurs et d’historiens de
la littérature, sont en fait nombreux à consacrer des travaux à leurs pairs, à
expliciter la genèse de leurs projets d’écriture, à tenter de se situer dans le
paysage littéraire et à débattre de l'idée de littérature. Tout se passe comme
si la réception de la littérature dans l'espace public exigeait désormais, au
même titre que l'art contemporain, le soutien de discours d'accompagnement qui
en explicitent les raisons, la valeur et le sens.
L’enjeu principal de ce dossier est de rendre
compte des pratiques métalittéraires contemporaines, d’une part en identifiant
les lieux où elles trouvent à se développer, d’autre part en tâchant de définir
leurs visées et leurs fonctions. Efforts ou refus de définition de ce qu'est la
littérature aujourd'hui, ces textes sont travaillés par la représentation, dans
le double sens où l’écrivain s’y livre à une tentative de figuration de sa pratique
et à la mise en scène de sa propre figure. Le dossier s’attache ainsi à faire
apparaître les idées de littérature et les images de l’écrivain qui émanent de
cette prolifération de textes « seconds ». Qu’en est-il aujourd’hui
des injonctions modernes et avant-gardistes des décennies précédentes? Que sont
devenus les thèmes de la littérature comme instrument de connaissance,
d’émancipation, de transgression, de transmission? Comment les entours de
l'œuvre contribuent-ils à la construction de l’identité des écrivains dans la
filiation ou le rejet de grandes figures du passé (écrivain engagé,
intellectuel, clerc, lettré, voyant…)? Il s’agit d’interroger les événements,
les idéologèmes qui servent aujourd'hui de socles identitaires, de marqueurs de
reconnaissance, d'embrayeurs pour l'imaginaire. En somme, la question est
celle-ci : si, de la plume des écrivains français d’aujourd’hui, il ne
subsistait que les textes qui entourent le texte, les discours qui redoublent
le discours, les parerga qui encadrent les œuvres, quel visage
la littérature des trois dernières décennies donnerait-elle d'elle-même?
Sommaire :
Mathilde Barraband Et
Jean-François Hamel
Les entours de
l'œuvre. La littérature française contemporaine par elle-même
Laurent Demanze
Gérard
Macé : l’entour et le détour
Audrey Camus
En haine du
roman : « la marquise toujours recommencée » d’Éric Chevillard
Jean-François Hamel
Exodes. Les
politiques de la littérature d'après «Sortie d'Égypte» de Pierre Michon
Mathilde Barraband
Audrey Lasserre
Les
héritières : Les écrivaines d’aujourd’hui et les féminismes
Lucie Bourassa
Du français,
dlalang et des poèmes incorrects : langage et poétique chez Katalin Molnár
Alain Farah
Situation de
l’écrivain en 1997 : Christophe Tarkos, commentateur de son émergence
Stéphane Inkel
Les images du
cabinet de Pierre Bergounioux
Nathalie Roy
Martine-Emmanuelle Lapointe
La folie des
grandeurs. L’écrivain et la chose littéraire dans les essais de Richard Millet
Virginie Harvey
Michon le
meuble. Entretiens dans la pièce d'à côté
Michel Biron
Pierre Michon et
l’hétéronomie de la littérature contemporaine
Sommaire en ligne : http://www.revue-analyses.org/index.php?id=1726