En 1925, Karl Abraham partageait avec Freud son intérêt pour un projet de film qui devait illustrer la psychanalyse à l’écran. Intitulé Les Mystères d’une âme (1926), le film a été tourné plus tard par Georg Wilhelm Pabst d'après les indications du psychanalyste Hanns Sachs, avec Werner Krauss, déjà connu pour avoir incarné à l’écran le docteur Caligari. Si l’on se souvient de cette histoire, c’est pour revenir à la position de Freud qui n’a jamais approuvé le projet, ni même envisagé que le cinéma puisse illustrer quoi que ce soit qui puisse convaincre de la réalité spécifique dont s’occupe la psychanalyse. « Le projet ne met plaît guère, disait-il. Je ne tiens pas pour possible de présenter nos abstractions de façon plastique." La position résolument iconoclaste de Freud est saisissante si l’on s’y arrête parce qu’elle repose sur un problème complexe qui dépasse la réalité du cinéma ; à savoir, non pas seulement la transposition plastique de la réalité psychique et des mécanismes de la pensée, mais la possibilité de l’image comme acte de pensée ; question qui reviendra chez Deleuze, notamment. Mais la méfiance de Freud vis-à-vis du cinéma contraste singulièrement avec la suite de l’histoire des théories du cinéma ; depuis les premières études psychanalytiques du cinéma, dans les années 1970 (Oudart, Baudry, Bellour, Mulvey, Heath, Metz), jusqu’aux avancées critiques plus récentes de Copjec, Žižek, Cowie, Flisfeder, De Lauretis et McGowan, depuis les années 1990 à aujourd’hui. D’un Freud iconoclaste et réticent, peu impressionné par l’invention du cinéma, aux théories les plus récentes, issues de la psychanalyse, qu’est-ce qui a changé? Sans doute le cinéma lui-même, mais aussi la psychanalyse, et surtout son apport pour penser l’expérience du cinéma.
Ces questions se complexifient lorsqu’on se penche sur les théories du cinéma et l’histoire des études cinématographiques depuis Lacan. En effet, si les théories du cinéma se tournent vers la psychanalyse lacanienne, dès les années 1970, des problèmes herméneutiques importants persistent à ce jour, particulièrement en lien avec le potentiel qu’offre la pensée de Lacan pour comprendre l’expérience cinématographique. Lacan ne visite que très rarement le fait cinématographique ; à peine le cinéma est-il évoqué dans le séminaire pour illustrer une forme appauvrie de « l’amour-passion », de l’amour courtois — en cela, d’ailleurs le cinéma serait, pour Lacan, l’une des plus récentes manifestations de la muse Polymnie, déesse de l’éloquence, à l’origine, mais aussi déesse d’un éros commun. Ailleurs, il évoque au passage les films de Buñuel, Chaplin, Fellini, Hitchcock, Kurosawa, Malle, Oshima, Renoir ou Resnais, etc., mais chaque fois dans l’optique d’une illustration brève, d’un exemplum, dont les théories du cinéma ont rarement pris la pleine mesure. Plus encore, il apparaît que beaucoup des théories du cinéma réinvestissent la pensée lacanienne dans son plus vaste ensemble (objet a, pulsion, jouissance, etc.) en un geste herméneutique qui récupère, mais parfois aussi détourne, travestit ou mésinterprète la pensée de Lacan. En résumé, l’histoire des rapports entre psychanalyse et théories du cinéma semble tout à la fois composite et inégale. Tantôt le cinéma semble impropre à rendre compte de la vie psychique et des mécanismes de l’inconscient, selon Freud, tantôt, la psychanalyse trouve au cinéma une illustration de la théorie, un lieu d’applicabilité des concepts, sans nécessairement donner naissance à une réflexion plus fondamentale sur le cinéma lui-même. Tantôt les théories du cinéma construisent tout un ensemble de rapports, entre cinéma et psychanalyse, tantôt les mêmes théories ratent quelque chose à propos de la psychanalyse sans toujours concevoir ce qui, pourtant, serait de nature à intéresser le fait cinématographique.
Dans l’optique d’une réflexion d’ensemble sur les rapports entre cinéma et psychanalyse, nous sollicitons des propositions de communication susceptibles d’interroger les zones de rapprochement, mais aussi les zones d’éloignement, les zones de pertinence, mais aussi les zones de mésentente entre la pensée du cinéma et la psychanalyse. Dans une optique plus élargie, les propositions de communication peuvent porter, mais ne sont aucunement limitées, aux questions suivantes :
- Histoire de la théorie psychanalytique du cinéma
- Évolution de la théorie psychanalytique du cinéma
- Le cinéma après Freud, après Lacan
- Le cinéma et les psychanalystes
- Le cinéma et la cure parlante
- La mésinterprétation des concepts psychanalytiques (regard, désir, jouissance, objet a, sexuation, etc.)
- Théorie psychanalytique du cinéma et herméneutique
- La Screen Theory
- Psychanalyse, cinéma et féminisme
- Les cinéastes et la psychanalyse
- La critique de la théorie psychanalytique du cinéma (la Post-théorie, le cognitivisme, etc.)
- Psychanalyse du cinéma et théories de la réception
Le colloque aura lieu les 2 et 3 mai 2024 à l’Université du Québec à Montréal. Toutes les propositions (1 page) doivent être envoyées avant le 15 novembre 2023 aux deux adresses suivantes, à l’intention d’Alexis Lussier et Louis-Paul Willis, organisateurs du colloque, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique : lussier.alexis@uqam.ca; louis-paul.willis@uqat.ca.