Les séries télévisées contemporaines sont aujourd’hui une forme audiovisuelle populaire et reconnue par la critique universitaire, loin de leur image d’antan, celle du programme télévisuel fatalement « inférieur » au cinéma et désespérément « répétitif ».
Pourtant, au sein de l’université, et notamment dans de nombreuses disciplines qui souhaitent se pencher sur cet objet d’étude (études médiatiques, études culturelles, études en arts visuels, sociologie, etc.), persiste encore l’idée qu’il n’existe pas de cadre théorique pour les aborder d’un point de vue esthétique. Sociologie, sciences de l’information et de la communication, études anglophones ont su y apporter et adapter leurs bagages conceptuels ; mais lorsque vient l’heure de décrire et d’analyser la nature de l’objet, plane encore la comparaison avec l’analyse filmique, maintenue en vie par les déclarations récurrentes de réalisateur.ice.s se lançant dans l’expérience sérielle en l’envisageant comme un film de très longue durée.
Non seulement la série, malgré toute ses évolutions, reste caractérisée par sa division en épisode, par sa sérialité, mais celle-ci a été explorée dans le détail, notamment depuis le début des années 2000 et la montée de ce que Jason Mittell nomme la complexité narrative : mode narratif caractérisé entre autres par la fusion entre les rythmes de la série épisodique, aux occurrences indépendantes, et du feuilleton doté d’un continuum narratif. La série feuilletonnante, standard narratif de ces trois dernières décennies, continue d’évoluer, et la recherche avec elle. En France, longtemps portée aux nues, la notion de formule développée par Jean-Pierre Esquenazi (ces invariants et « points nodaux » qui équilibrent répétition et variation) est remise en cause, y compris par le principal intéressé, tout comme celle de « matrice » (qu’elle se confonde avec la formule chez Stéphane Benassi, ou qu’elle vienne compléter la notion chez Guillaume Soulez). Natalie Maroun valorise l’importance de la théorie des mondes possibles appliqués à la fiction pour analyser des mondes fictionnels en déploiement perpétuel, direction renouvelée par Sarah Hatchuel et la notion de « plis hypothétiques », de possibles narratifs explorés dans les rêves ou les « réalités » alternatives. La complexité narrative a eu, et a encore, un riche succès, la réflexion longue de plus d’une décennie de Jason Mittell ayant été complétée par des réflexions sur la construction du personnage sériel (Roberta Pearson), sur la temporalité (Paul Booth) ou la transmédialité (Anne Kustritz). Des thèses récemment soutenues témoignent d’un champ d’études bouillonnant et en perpétuelle évolution, par exemple en France, qu’il s’agisse de l’exploration du « tissage narratif » par Hélène Breda, de la « déformulation » par Vladimir Lifschutz, ou des intrigues à long terme par Florent Favard. Il existe sans nul doute de nombreux travaux en cours dans d’autres pays – Allemagne, Espagne, Italie, Angleterre, États-Unis… – qui abordent les problématiques variées véhiculées par la sérialité télévisuelle. Celle-ci n’a pas fini de faire parler d’elle, et les prochains épisodes s’annoncent tout aussi passionnants.
L’objectif de ce numéro de TV/Series, sous la direction d'Hélène Machinal et Florent Favard, est d’aborder la sérialité et la forme sérielle, qualités fondamentale des séries télévisées, dans un cadre théorique et conceptuel, sous des angles narratologiques, et plus largement esthétiques et sémiotiques. Les contributions pourront porter sur les sujets suivants :
- Sérialité et mondes possibles : comment concilier la fragmentation en épisodes et l’existence - ou du moins, l’illusion - d’un monde fictionnel cohérent ? Comment la sérialité conditionne le déploiement d’un monde fictionnel ? Comment s’y manifeste l’équilibre entre le monde effectivement actualisé par le récit, et ses nombreux possibles, ses « plis hypothétiques » au sens de Hatchuel ?
- Sérialité et personnage : à la suite de Pearson et Mittell, il reste encore dans le personnage de série télévisée un riche potentiel d’étude : comment se construit la « cohérence » d’un personnage de série par la forme sérielle ? Cette cohérence est-elle seulement une condition sine qua non de son existence ? Quel est l’impact de la sérialité sur la construction narrative et esthétique des personnages ?
- Sérialité et lectures complexes : à l’heure où les séries sont plus que la somme de leurs parties et construisent des « tissages narratifs » selon leurs scénaristes, quels procédés narratifs, quels mécanismes, délimitent les contours de ces ensembles supérieurs à l’épisode ? Ces mécanismes entrent-ils en contradiction avec la sérialité ou bien fonctionnent-ils en tandem avec elle ?
- Sérialité et nouveaux canaux de diffusion : la websérie d’un côté, les services de SVoD de l’autre (Netflix, Amazon) influent-ils sur la sérialité, ou la dépassent-ils ? La sérialité peut-elle s’envisager de la même manière lorsque l’on peut accéder à l’ensemble d’une saison ? Dans quelle mesure les nouveaux modes de diffusion et le passage de l’écran de télévision aux écrans d’ordinateur changent-ils la forme sérielle ?
- Sérialité et transmédialité : comment se manifestent les interactions entre séries et autres médias sériels (comics) ou non (un jeu vidéo ou un film) ? La sérialité peut-elle se penser de la même manière selon les médias utilisés ? La transmédialité influe-t-elle sur les formes sérielles ?
- Sérialité et genres : les séries s’inscrivent souvent dans les genres de la fiction dite populaire. Quelles conséquences ce recours à des genres tels le récit policier, la fantasy, le fantastique ou la SF (ces derniers pouvant également s’hybrider entre eux) peut-il avoir sur la forme sérielle ? Faut-il envisager une forme de continuité avec les formes sérielles de la seconde moitié du XIXe siècle ?
- Sérialité en séries : comment aborder les innombrables revivals, remakes, reboots et continuations contemporaines, de Doctor Who à Gilmore Girls en passant par Twin Peaks ? Comment interagissent-elles avec les séries d’origine ? Construisent-elles un mode sériel différent ?
Modalités de soumission
Des propositions de 400 mots maximum, accompagnées d’une brève biographie peuvent être envoyées à Hélène Machinal (helene.machinal@univ-brest.fr) et Florent Favard (favard.florent@gmail.com) avant le 15 juin 2017.
Les propositions retenues seront annoncées courant juillet 2017.
Les articles seront à envoyer avant le 4 mars 2018.
Les articles devront être mis en page selon les instructions de TV/Series et seront évalués par le comité scientifique de la revue.
Vous pouvez consulter l'appel complet (bilingue) en pièce jointe.