Colloque L’animal et l’humain. Représenter et interroger les rapports interespèces
Carrefour des arts et des sciences de l’Université de Montréal, 11 au 13 avril 2018
Comité organisateur: Jérôme-Olivier Allard (UdeM), Fanie Demeule (UQAM), Marion Gingras-Gagné (UQAM) & Marie-Christine Lambert-Perreault (UQAM)
Date limite des propositions: 20 décembre 2017
L’espèce humaine a constamment eu à négocier sa place au sein d’un écosystème comportant d’autres espèces animales, comme en témoignent les diverses cosmogonies mettant en scène des rencontres entre humains et animaux, les fables et bestiaires ou les récits de métamorphoses. Il suffit en effet de penser au serpent séducteur du Jardin d’Eden, à la forme taurine de Zeus, à la bataille entre Odin et le loup Fenrir, ou encore aux multiples transformations d’Ovide. Qu’ils soient religieux, philosophiques, satiriques ou merveilleux, les récits des traditions orale puis écrite ont repris et investi ces types de rencontres ou de croisements entre humanité et animalité, qui sont en quelque sorte devenus emblématiques de certains genres. C’est ainsi que plusieurs histoires ont en commun la mise en scène d’identités mouvantes, incertaines ou indéterminées et de corporéités protéiformes, pensons aux contes « Le Prince Grenouille » (frères Grimm), « La Belle et la Bête » (Mme Leprince de Beaumont) ou encore « Le Petit Chaperon rouge » (Perrault, frères Grimm).
Les œuvres de fantasy et de science-fiction regorgent par ailleurs de créatures animalières réalistes ou imaginaires, résultant parfois de manipulations génétiques par l’homme, et qui peuvent être ou non anthropomorphisées à des degrés divers. Dans les univers mis en place, les humains (ou les humanoïdes) interagissent avec d’autres espèces et peuvent engager avec elles différents types de relations, fondés sur la coopération, l’affrontement ou l’oppression. Sur le terrain de l’imaginaire, certaines productions paraissent parfois exposer, déconstruire ou reconfigurer sur un mode métaphorique les complexes rapports de force que les hommes peuvent entretenir avec les autres animaux. Elles le font par exemple en mettant en scène différentes situations conflictuelles alimentées par une idéologie spéciste, selon laquelle les membres de certaines espèces privilégiées (notamment les humains) bénéficieraient de droits moraux supérieurs.
Qu’ils soient de compagnie, d’élevage, de travail, de laboratoire, de divertissement ou en liberté, les animaux remplissent plusieurs fonctions pour les humains qui les côtoient de près ou de loin. Si des espèces jouissent d’une certaine forme de protection selon les cultures – ainsi le chien, le chat et le cheval en Occident –, l’animal d’élevage est considéré par plusieurs comme une ressource, dont on peut extraire le cuir, la chair ou le lait, pour se vêtir ou se nourrir, conformément à l’idéologie carniste invisible (Joy, 2016) qui rend acceptable et normale la consommation de produits animaliers. De plus en plus d’écrivaines, d'écrivains et d’artistes contemporains problématisent toutefois l’exploitation animale et la consommation de chair, notamment Miru Kim, qui cherche à mettre en lumière les similitudes biologiques qu’elle perçoit entre l’homme et le cochon dans sa série de photos The Pig That Therefore I Am (2010). Si les végétariennes et les végétariens ont longtemps été présentés comme marginaux et excentriques (pensons à Phoebe Buffay dans la série télé Friends [1994-2004]), on a vu apparaître ces dernières années dans divers médias des représentations moins caricaturales; dans le genre de l’horreur, un certain nombre de vampires ou de zombies refusent pour leur part la chair et le sang humains et choisissent de consommer des substituts animaux ou synthétiques pour des raisons éthiques. Certains récits, comme Défaite des maîtres et possesseurs (2016) de Vincent Message, illustrent même un renversement dans les rapports de pouvoir, laissant entrevoir un futur où l’humain tout-puissant sera(it) détrôné par une espèce plus évoluée.
L’anthropocentrisme occidental et, dans son sillage, la pensée humaniste ont fermement positionné les humains comme une espèce supérieure, chargée de régler l’ordre du monde. Ainsi, l’humanité s’est définie, par contraste et de façon binaire, par rapport à l’animalité. Comme le souligne Agamben: «C’est seulement parce que quelque chose comme une vie animale a été séparé à l’intérieur de l’homme, parce que la distance et la proximité avec l’animal ont été mesurées et reconnues […] qu’il est possible d’opposer l’homme aux autres vivants et en même temps d’organiser la complexe – et pas toujours édifiante – économie des relations entre les hommes et les animaux.» (2002, p. 33) Les avancées des mouvements environnementaliste (notamment depuis le début des années 1960) et écoféministe (à partir des années 1970), de même que la popularisation du concept d’anthropocène par Paul Crutzen au tournant des années 2000 ont néanmoins contribué à l’élaboration d’une pensée écocritique majeure, non seulement dans les domaines scientifiques et sociaux, mais aussi dans les arts et les lettres. Chercheuses et chercheurs, citoyennes et citoyens, conscients des conséquences des abus passés, tentent désormais de réévaluer les rapports entretenus avec les autres espèces et règnes du vivant, car «si la césure entre l’homme et l’animal passe d’abord à l’intérieur de l’homme, c’est alors la question même de l’homme – et de l’humanisme – qui doit être posée de manière nouvelle.» (Agamben, 2002, p. 33)
En émergence depuis une cinquantaine d’années, le champ multidisciplinaire et bouillonnant des études animales invite à une « remise en question de la différence humain/animal et des représentations traditionnelles des animaux », tout en revendiquant un « progrès des droits des animaux ou du bien-être animal » (Delon, 2015, p. 188). Dans l’introduction de son ouvrage The Vegan Studies Project (2015), Laura Wright dresse un portrait de ce domaine pluriel : elle distingue d’abord le champ des études animales critiques (Critical Animal Studies), codifié à la suite de la publication de La libération animale (Animal Liberation) par Peter Singer en 1975 et intéressé par la nature des droits des animaux et les responsabilités éthiques à leur égard. Les études humain-animal (Human-Animal Studies), apparues dans les années 1990, examinent quant à elles la construction des relations interespèces et leurs implications politiques et sociales – voir à ce sujet Margo DeMello (2012). Toujours selon Wright, la posture posthumaniste, adoptée par exemple par Donna Haraway, remet pour sa part en jeu et englobe les assises des précédents champs dans une démarche visant à (re)définir ce que signifie être humain.
Le colloque L’animal et l’humain, inclusif et multidisciplinaire, entend étudier les représentations des rapports interespèces dans les productions artistiques et l’imaginaire socioculturel occidental depuis le milieu du 20e siècle. L’interconnectivité étant au cœur de la thématique étudiée, cette rencontre sera l’occasion de réfléchir aux discours et aux différentes formes de représentations qui traversent les multiples sphères socioculturelles. Les disciplines concernées sont nombreuses et pourront entrer en dialogue : études littéraires, études cinématographiques et télévisuelles, études vidéoludiques, études théâtrales, histoire de l’art, sémiologie, anthropologie, sociologie, psychologie, philosophie, écologie, etc. Dans l’élaboration de leur proposition, nous invitons les éventuels participantes et participants à explorer une multitude de champs et d’approches, ainsi les féminismes intersectionnel et écocritique et le nouveau matérialisme, les études gastronomiques, l’éthique animale, l’éthique du care, les pensées posthumaniste et transhumaniste, l’épistémocritique, etc.
PISTES DE RÉFLEXION
Le spécisme et l’antispécisme dans la fiction;
La convergence des oppressions et le militantisme;
Le véganisme, la cuisine végétalienne et leurs représentations;
L’animal-aliment (viande, lait, miel, etc.) et le carnisme;
Les concepts de domesticité et de sauvagerie;
Les imaginaires de la chasse, de la prédation et de la taxidermie;
Les formes d’élevage et d’exploitation;
Les métiers et fonctions en lien avec les animaux;
L’animal non humain et le sacré;
Le deuil animalier et ses récits;
Les représentations de la biosphère de l’anthropocène;
L’animal et les traditions culturelles;
La place de l’animal dans les cultures autochtones;
L’anthropomorphisation des animaux non humains et l’animalisation des humains;
Les métamorphoses animalières;
Les manipulations génétiques et les hybridations;
Le langage et la communication entre humains et animaux;
L’animalité dans les productions esthétiques (art, littérature, jeux vidéo, cinéma, séries télévisées, médias numériques, etc.);
Les personnages non humains dans les genres fictionnels de la fantasy, de la science-fiction, de l’horreur, du conte et du merveilleux.
Les communications individuelles ou de groupe, en français comme en anglais, sont bienvenues. Celles-ci pourront être de durée variable, allant d’un format bref de cinq minutes à un format classique de vingt minutes (à spécifier dans la soumission). Les propositions, incluant un titre et un résumé de 300 mots maximum, des mots-clés, ainsi qu’une notice biobibliographique (mentionnant affiliation institutionnelle, axes de recherche et publications majeures), doivent être envoyées aux organisatrices et à l’organisateur du colloque à l’adresse animalethumain@gmail.com avant le 20 décembre 2017. Il est à noter que les déplacements sont aux frais des participantes et des participants.
RENSEIGNEMENTS
https://animalethumain.weebly.com
https://www.facebook.com/events/641845355939145/
Crédits image: "S'il vous plait, ne tuez pas mon amie" © Chantal Poulin Durocher