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Le temps qui passe et le temps qui reste: expérience de la mémoire dans la littérature française contemporaine

Appel à communication

Cette journée d’étude aura lieu à l’Université de Toronto le 27 avril 2018. Les communications seront d’une durée de 20 minutes. Les propositions de 300 mots sont attendues pour le 20 décembre 2017, à: eric.chevrette@mail.utoronto.ca et m.savard.corbeil@mail.utoronto.ca.

En nous interrogeant sur le temps qui passe et le temps qui reste, nous chercherons à étudier les traces du temps, mais aussi à théoriser les manifestations mémorielles et documentaires au sein de la littérature française depuis 2000. Cette journée d’étude se propose ainsi d’explorer les questions suivantes: pourquoi certaines traces ont-elles survécu dans le temps, et d’autres non? Comment témoigner face au doute de l’expérience? De quelles façons la mise en récit embrasse-t-elle «l’aporie que constitue la représentation présente d’une chose absente marquée du sceau de l’antériorité, de la distance temporelle» (Ricœur, 2003)? Comment cette dynamique s’articule-t-elle du point de vue narratologique? Éthique? Esthétique? Historiographique?
Par son essence narrative, la mise en récit rend manifestes les articulations temporelles entre passé, présent et futur. La diégèse parvient ainsi à figer un régime temporel qui autrement demeure évanescent puisqu’il ne permet aucun surplomb, l’absence de distance incitant à une lecture non pas du temps lui-même, mais des événements. Le surplomb discursif peut aussi être l’occasion d’un brouillage — Annie Ernaux parle par exemple de «sensation palimpseste» (2008). Ce faisant, la diégèse semble dépasser la perception du temps au second degré selon laquelle ce serait les événements «qui sont temporels, qui passent, qui ont une durée, un commencement et une fin, etc., et non le temps lui-même» (Bouveresse, 2003).
La littérature française contemporaine est un lieu où il est non seulement possible de rendre compte de la trace, de son absence, de son doute, mais du parcours qui a mené à questionner l’expérience. Elle regroupe alors un ensemble de manifestations analysables qui élargit les frontières du sens et de la raison au lieu de les contraindre. La distance critique permise par le fait littéraire propose de revisiter à la fois les dispositifs et les techniques de recensions des événements, mais également de multiplier les versions face à ce qui peut être considéré comme officiel ou institutionnel. De là, quels mécanismes la littérature met-elle en place afin de revisiter l’Histoire (Echenoz, 2012 ; Jenni, 2011), d’offrir un récit alternatif (Kaplan, 2016 ; Littell, 2006) ou d’explorer le méconnu (Ferrari, 2015 ; Michon, 2009)? Cette pratique novatrice de la fiction est-elle reprise par les discours officiels auxquels elle tente d’échapper, ou au contraire les institutions (critiques, éditoriales, juridiques) luttent-elles contre les pratiques littéraires les plus ambiguës sur le plan générique, biographique ou fictionnel (Haenel, 2009 ; Salvayre, 2014)? Et comment le roman contemporain tire-t-il avantage du fait qu’il ne masque plus sa fonction de médiation (Bessière, 2010)?
Dans la perspective littéraire qui nous intéresse, il revient d’étudier comment, dans la littérature française depuis 2000, la structure discursive se construit, sans vouloir masquer ses propres failles, défaillances et sujétions. Cela contribue d’autant à rendre intelligible une expérience inépuisable par le récit. La littérature est également une trace figée, un témoignage d’une mémoire réelle ou fictive qui contient sa part d’oubli. Le roman et le récit contemporains tentent de sortir de ce paradoxe puisqu’ils font part de leurs limites et utilisent leurs spécificités, notamment la multiplicité des voix narratives (de Kerangal, 2010 ; Énard, 2015) ou de la temporalité (Azoulai, 2015 ; Modiano, 2014). Dans la mesure où la pluralité des expériences humaines décrites par la littérature rend compte de la diversité des contextes et des modalités, on peut interroger l’influence phénoménologique sur la médiation discursive. Et puisque le «sentiment du monde comme totalité bornée naîtrait au contact des limites de ce monde» (Audi, 1999), cela ne s’effectue pas par relation métonymique et simple transmission par contact, mais bien par un élargissement des frontières du sens et du sensible.
 
Les questions philosophiques, éthiques et esthétiques étant éminemment dépendantes de leur contexte, nous chercherons à voir, dans cette journée d’étude, comment les représentations et les différentes propositions littéraires nous aident à mieux comprendre notre propre relation au temps, à la mémoire et à l’expérience.
 
Axes possibles de réflexion
- Temps et identité narrative en littérature
- Éthique et mémoire personnelle/culturelle face au récit et au roman
- Représentation des variations historiographiques
- Régimes d’historicité en littérature
- Médiation, intelligibilité et fidélité de la trace et de l’archive
- Appropriation et détournement de l’Histoire dans la fiction
- Dispositifs sémiotiques de transmission de la mémoire
- Subjectivité, objectivité et distance narrative dans la représentation du temps
- Variations chronotopiques
- Narratologie et expérience phénoménologique du temps
 
Organisation
Pascal Riendeau, Université de Toronto
Eric Chevrette, Université de Toronto
Mathilde Savard-Corbeil, Université de Toronto
 
Références
Audi, Paul (1999). Supériorité de l’éthique, Paris, PUF.
Azoulai, Nathalie (2015). Titus n’aimait pas Bérénice, Paris, P.O.L.
Bessière, Jean (2010). Le roman contemporain, ou, La problématicité du monde. Paris, Presses universitaires de France.
Bouveresse, Jacques (2003). Essais III. Wittgenstein et les sortilèges du langage, Marseille, Agone
De Kerangal, Maylis. (2010). Naissance d’un pont, Paris, Verticales.
Echenoz, Jean (2012). 14, Paris, Minuit.
Énard, Mathias (2015). Boussole, Arles, Actes Sud.
Ernaux, Annie (2008). Les années, Paris, Gallimard.
Ferrari, Jérôme (2014). Le principe, Arles, Actes Sud.
Haenel, Yannick (2009). Jan Karski, Paris, Gallimard.
Jenni, Alexis. (2011). L’Art français de la guerre, Paris, Gallimard.
Kaplan, Leslie (2016). Mathias et la Révolution, Paris, P.O.L.
Littell, Jonathan (2006). Les Bienveillantes, Paris, Gallimard.
Michon, Pierre (2009). Les Onze, Lagrasse, Verdier.
Modiano, Patrick (2014). Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Paris, Gallimard.
Ricœur, Paul (2003 [2000]). La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris, Seuil.
Salvayre, Lydie (2014). Pas pleurer, Paris, Seuil.
 
 

Participation / Organisation

Organisateur non-membre
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