Les théories de la traduction, depuis les années 1980, donnent au traducteur un véritable rôle de créateur. « Traduire n’est traduire que quand traduire est un laboratoire d’écritures», écrivait H. Meschonnic, s’accordant sur ce point à la théorie interprétative, à laquelle par ailleurs il s’en prenait avec virulence. Celle-ci, fondée sur le principe de la déverbalisation, place au centre de l’acte traductif la créativité du traducteur, qui « ne se pos[e] plus le problème de l’intraduisibilité de tel ou tel poème, mais seulement celle de savoir si sa propre créativité langagière est suffisante pour lui permettre de produire un texte qui sera équivalent à l’original dans toutes ses fonctions de désignation et d’évocation». Dans la pensée traductologique moderne, le texte traduit doit avoir la même valeur littéraire que le texte source, être autonome dans la langue d’arrivée et viser une équivalence d’effet.
Le texte traduit est pourtant encore très largement marginalisé dans les études littéraires, même lorsque son traducteur est un auteur reconnu dans le champ et l’histoire littéraires. Elles l’envisagent non comme un objet autonome, mais comme medium dans le processus de communication entre un auteur et un lecteur. Les approches comparatistes lui font certes une place plus importante, mais, là aussi, l’analyse privilégie l’accès au texte source. La posture critique dominante consiste à évaluer, en termes de réussite ou d’échec, de fidélité ou de trahison, le passage d’une langue à l’autre, et non à aborder le produit de la traduction dans son autonomie par rapport au texte source.
Ce colloque propose ainsi d’étudier les écrivains-traducteurs du XXe siècle à aujourd’hui pour réfléchir sur une présentation de soi contradictoire, au travers notamment de ses marqueurs stylistiques, en mesurer les incidences sur les écrits postérieurs aux traductions, et revisiter l’histoire littéraire en reconstituant la cartographie souterraine de signatures qui migrent de la marge (mention du traducteur) au centre (sceau de l’auteur). Dès lors, c’est la notion de responsabilité auctoriale qui se trouve interrogée dans ses dimensions énonciatives, stylistiques, pragmatiques, esthétiques, sociopoétiques et historiques. Les communications privilégieront l’étude d’écrivains-traducteurs de langue française (première ou seconde), pour appréhender la posture ambivalente d’un lettré par ailleurs auteur d’une œuvre autonome. Débordant le champ de la traductologie, les approches poétiques, génétiques, stylistiques, juridiques, historiques et sociologiques sur des études de cas seront les bienvenues. À titre indicatif, nombre d’écrivains des XXe et XXIe siècles ont traduit un pair : Arthur Adamov, Louis Aragon, Samuel Beckett, Messaoud Benyoucef, François Bon, Yves Bonnefoy, Rachid Boudjedra, Frédéric Boyer, Hélène Cixous, Marie Darrieussecq, René Depestre, Virginie Despentes, Mathias Enard, Raymond Federman, Yves Gauthier, André Gide, Jean Giono, Julien Green, Armel Guerne, Eugène Guillevic, Nancy Huston, Philippe Jaccottet, Jean-Marie Laclavetine, Valery Larbaud, Gérard Macé, André Markowicz, Jean-Yves Masson, Brice Matthieussent, Emmanuel Moses, Vladimir Nabokov, Marcel Pagnol, Robert Pinget, Adélaïde Pralon, Marcel Proust, Sylvain Prudhomme, Armand Robin, Jacques Roubaud, Martin Rueff, Danièle Sallenave, Tiphaine Samoyault, Henri Thomas, Alexandre Vialatte, Michel Vinaver, Antoine Volodine, Kateb Yacine, Marguerite Yourcenar, etc.
Les propositions d’intervention devront être envoyées à Aline Marchand (aline.marchand@sorbonne-nouvelle.fr) et Pascale Roux (pascale.roux@univ-grenoble-alpes.fr) avant le 30 avril 2017. Un résumé de 500 mots (notes de bas de pages non incluses) sera accompagné d’une notice bio-bibliographique.
Le colloque se tiendra à Grenoble les 9 et 10 novembre 2017 puis à Paris les 18 et 19 janvier 2018 avec deux tables-rondes d’écrivains-traducteurs.
Comité scientifique : Mathilde Barraband, Université du Québec à Trois-Rivières ; Bruno Blanckeman, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 ; Dominique Combe, ENS-Ulm ; Choi Mikyung, Université Ewha à Séoul ; Julien Piat, Université Grenoble Alpes ; Nathalie Piégay-Gros, Université de Genève ; Anna Saignes, Université Grenoble Alpes ; Alain Schaffner, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3.
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