Appel à communication
Journée d’études organisée par Laetitia Hanin et Andrea Oberhuber
Université de Montréal / Figura-UdeM, 16 mai 2019
Quand le critique Eugène de Mirecourt écrit, à propos de Clémence Robert, que «chose inouïe et tout à fait exceptionnelle dans le genre», «jamais elle n’a fait de livres de femme», et que son encrier ne contient «pas une gouttelette d’eau de rose», puisqu’il se voue au roman «des chausse-trappes, des meurtres et des batailles», à celui des «divagations politiques» et aux «romans de mœurs [qui] excellent par l’inobservation» (de Mirecourt, 1856), il souligne l’hétérogénéité des sous-genres littéraires au milieu du XIXe siècle, ainsi que leur répartition sexuée. Aux femmes, le roman de sentiment à tendance autobiographique, le conte ou le livre (illustré) pour enfants; aux hommes, le roman historique, politique ou de mœurs.
Si la réalité est plus nuancée, force est de constater une association entre sexe de l’écrivain.e et (sous-)genres littéraires dans la période qui s’étend de la première moitié du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres. Les noms de Félicité de Genlis, de Marceline Desbordes-Valmore, d’Hortense Allart, de Daniel Stern, de Louise Colet, d’André Léo, de Jules Verne, d’Henry Gréville, de Thérèse Bentzon, de Georges de Peyrebrune, de Judith Gautier, d’Albert Robida, de Colette, de Lucie Delarue-Mardrus, d’Anna de Noailles, de Claude Cahun et de Mireille Harvey, entre autres, peuvent être associés à des sous-genres littéraires déterminés: roman sentimental ou champêtre, conte, roman de mœurs étrangères, récit autobiographique, roman d’anticipation, science-fiction, récit de voyage, etc. Comment expliquer cette association apparemment «naturelle» entre sexe et (sous-)genres littéraires? Telle est la question que souhaite poser cette journée.
Plusieurs explications semblent pouvoir être avancées. Le commentaire cité d’Eugène de Mirecourt, qui prête une couleur à l’encrier féminin et malmène la plume qui ose tremper ailleurs, révèle l’existence d’un imaginaire genré des (sous-)genres littéraires et fait sentir le ridicule auquel s’exposent les écrivaines qui ne s’y conforment pas. On peut sans doute expliquer par un tel «imaginaire générique» (Planté, 1989) –résultat du regard des critiques, des éditeurs et d’écrivains comme Balzac, Sainte-Beuve ou Barbey d’Aurevilly–, le choix fait par de nombreuses femmes de lettres de se tenir loin des genres à haute valeur symbolique tels que la poésie, le théâtre ou encore le roman réaliste lancé par de jeunes écrivains en quête de reconnaissance. Dans sa brève fiction intitulée Une famille parisienne au XIXe siècle (1857), Virginie Ancelot établit ainsi un lien entre les révolutions littéraires et la différence des sexes. Le constat est dressé à propos du romantisme:
Une littérature nouvelle avait éclaté et marqué ses débuts par l’insulte à tout ce qui l’avait précédée. Tuer tout ce qui avait été avant elle était le mot d’ordre de la bande noire littéraire, qui, n’ayant pas le génie de construire, s’en dédommageait par sa puissance de démolition. Les écrits sont les drapeaux qui mènent à leur suite les cohortes; de notre temps surtout, où les idées se font jour et s’imposent à tous par les journaux! Le mépris pour le vieillard et pour la femme ne manque jamais aux époques de décadence. (Ancelot, 1857)
Les écrivaines sont sans doute pour quelque chose dans de tels imaginaires, soit qu’elles s’y conforment, soit qu’elles contribuent à en construire dans et par leurs propres pratiques littéraires. Il s’agira d’étudier les modalités d’appropriation des (sous-)genres disponibles par les femmes qui écrivent.
D’autres éléments permettent d’expliquer la prédilection des écrivaines et des écrivains pour tel ou tel genre littéraire. Des raisons éthiques et didactiques pousseraient par exemple les femmes à privilégier certaines thématiques. Ainsi, André Léo justifie, en tête de son roman, l’écriture et la publication de Marianne (1877) en ces termes: «Si je vous raconte cette histoire, […] [c’est] parce qu’elle se recommande particulièrement à l’attention des lectrices, et surtout de ces lectrices de vingt ans, qui, en lisant un roman, rêvent de leur propre avenir, et auxquelles l’auteur ici dédie ses pensées les plus intimes, sûr qu’elles ne seront ni dédaignées ni incomprises» (Ancelot, 1857).
Cette journée d’études entend donc interroger le lien entre sexe et (sous-)genres littéraires, en privilégiant des corpus peu exploités jusqu’ici. Que nous disent les écrivain.es de seconde zone des imaginaires genrés des XIXe et XXe siècles? Peut-on analyser au prisme du gender les écoles et les mouvements littéraires? Le renouveau, l’avant-garde ont-ils un sexe? La tradition, la filiation littéraire en ont-elles un autre? Y a-t-il des périodes historiques propices à la répartition sexuée des pratiques littéraires? Existe-t-il des genres qui se dé-genrent ou qui changent de genre?
Les propositions de communication (250 à 300 mots) sont à envoyer avec une courte présentation bio-bibliographique pour le 15 janvier 2018 aux deux adresses suivantes: laetitia.hanin@umontreal.ca et andrea.oberhuber@umontreal.ca
Consultez l'appel complet en pièce jointe.
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