« Crois en toi », « développe ton plein potentiel », « fais confiance à ta voix intérieure », « cherche la paix enfouie dans ton cœur » : qui n’a jamais entendu ces injonctions ? On reconnaît aisément les formules invocatoires et autres mantras typiques du développement personnel, teintés d’optimisme et d’espoir que d’aucuns aiment appeler du « positivisme ». Le catalogue littéraire en ligne Booknode contient ainsi une catégorie « positivisme » qui présente cinq livres de développement personnel avant de proposer un ouvrage d’Auguste Comte. L’accent est mis sur une attitude positive censée attirer à soi la bonté de l’univers, fruit d’un travail constant sur soi-même. Dans un contexte socioéconomique et écologique menaçant, il n’est pas étonnant que l’eudémonisme soit toujours bien présent. Un trait qu’ont en commun les différents discours qui prônent la quête d’épanouissement personnel est la conviction suivante : quand on veut, on peut.
Thierry Jobard, libraire et auteur de l’essai Contre le développement personnel, propose, quant à lui, de « prendre le développement personnel au sérieux ». Pour cela, l’essayiste porte un regard critique sur les mécanismes qui propulsent le genre en tête des ventes. Il relève que les ouvrages de développement personnel « obéissent en général aux critères formels suivants : un ton de confidence vis-à-vis du lecteur auquel on s’adresse directement en le tutoyant ; le recours à l’expérience personnelle de l’auteur ou de l’autrice et à des exemples qui sont autant de paraboles ou de leçons de morale […] ; la prescription de trucs et recettes qui résoudront les difficultés selon le modèle problème-solution ».
Cela dit, d’autres discours se tiennent loin de ces aspirations. Ainsi que l’écrit Laurence Côté-Fournier dans son article « Au nirvana des mécréant·e·s », publié dans Nouveau Projet 21 : « La littérature offre un contrepoids parfait aux gens qui, comme moi, ont maille à partir avec le discours de motivation personnelle. Peu de grand·e·s écrivain·e·s sont d’incurables optimistes [...]. Les optimistes sont généralement snobé·e·s : à preuve, L’alchimiste de Paulo Coelho et son message simple sur la recherche du bonheur et la connaissance de soi font office de running gag depuis 20 ans dans le milieu littéraire ». À l’appel à la réalisation de ses rêves, la littérature oppose le doute, semble-t-il.
Nous vous invitons, pour cette 14e séance inaugurale du CRIST, à prêter attention aux doctrines du développement personnel dans les arts et dans la culture, aux discours d’accomplissement de soi valorisant le bien-être et le bonheur en format tout prêt à dissolution rapide. La manière dont les sages, les gourous, les « coachs » et autres adeptes de la croissance personnelle parlent (et prêchent) ainsi que la manière dont ils se (re)présentent ont beaucoup à nous apprendre sur les conceptions de la nature humaine dans une société donnée. Qu’y a-t-il dans les best-sellers de Brené Brown d’assez universellement reconnu pour que l’écrivaine et enseignante agisse à titre de « consultante-gourou » (selon le terme du New York Times) auprès d’organisations aussi diverses que Pixar, Google et les forces spéciales de l’armée américaine ? À ce phénomène s’ajoute par exemple le cas d’Eckhart Tolle qui, grâce au succès de son livre Le pouvoir du moment présent, propose des conférences atteignant 1500 dollars américains le billet (selon les sites transactionnels Ticketmaster et Ticketsmarter). Ce genre d’activités lucratives évoque ce qu’Eva Illouz et Edgar Cabanas nomment dans leur essai Happycratie « l’industrie du bonheur » centrée sur les « marchandises émotionnelles ».
On pourra envisager plusieurs pistes d’analyse du discours de développement personnel : formelles (les manières ou les styles de ce discours, écrit et oral, notamment telles qu’elles sont reprises ou raillées dans la littérature), narratives (y a-t-il des personnages qui, dans le roman, le cinéma, les séries, incarnent tout particulièrement ces encouragements à devenir la meilleure version de soi ?) ou encore historiques (y a-t-il une histoire du développement personnel et de ses figures de mentors ? Reprennent-ils ou déplacent-ils des paraboles connues ?). Il y a matière à explorer ce que les louanges de l’autonomie individuelle disent du social comme du politique, et à dévoiler les valeurs morales logées dans l’offre et la demande d’un bonheur plein et entier.
Les propositions de communication (un titre et 100-300 mots maximum) doivent être envoyées avant le 15 juillet 2022 à figura@uqam.ca. Dans le cadre d’une séance inaugurale, la durée des interventions sera de dix minutes maximum.
La séance inaugurale aura lieu le 9 septembre 2022 à 14 h à l'Université du Québec à Montréal