Formules la «Revue des créations formelles» est une revue scientifique annuelle francophone fondée en 1997 et consacrée à la littérature à contraintes et à la contrainte dans l'art en général.
Ce numéro dédié aux relations entre littérature et performance à l'heure des écritures numériques et web est cordonné par Lucile Haute (Université de Nîmes et École nationale supérieure des Arts Décoratifs) et Allan Deneuville (ArTeC, Université Paris 8 et Université du Québec à Montréal).
Lorsqu'ils se déploient au moyen de technologies numériques, les écrits contemporains s'inscrivent dans un imaginaire paradoxal quant à leur conservation et leur permanence. Ce paradoxe repose sur la tension entre d'une part un hyper- archivage collectif d'Internet et de l'autre les histoires singulières de disparition de comptes sur des plateformes. Face au souci de pérennité, les artistes et auteur·es travaillant à partir et sur Internet semblent développer deux types de stratégies. Les un·es adoptent une esthétique de la disparition, engageant leur démarche du côté de l'éphémère (Saemmer & alt., 2015), tandis que d'autres mettent en place des protocoles d'archivage personnel, éventuellement en vue d'une remédiation puis de la diffusion de cette nouvelle forme stabilisée. En cela, ces formes d'écritures numériques rejoignent des questions qui ont traversé l'histoire de la performance relativement à sa documentation ou à l'interdit de documentation (Cuir & alt., 2013; Bégoc & alt., 2010). L'étude des liens entre littératures et performances (Soulier & alt., 2018), entre performances et technologies (Dixon, 2007; Quinz & alt., 2002) ou littérature et numérique (voir les travaux de la chaire du NT2 sur la littérature et les arts numériques ou de Electronic Litterature Organisation), ayant donné lieu ces dernières années à une production abondante, il s'agira dans ce numéro de Formules d'aborder des travaux se développant au croisement triple entre littératures, performances et technologies afin de faire apparaître certaines problématiques ou sujets pluridisciplinaires encore peu développés.
Le terme de "littérature" est à entendre dans un sens ouvert, tel qu'il a pu être défini ces dernières années (Rosenthal et Ruffel, 2010; Nachtergael, 2015; Mougin, 2017; Hanna, 2010; Leibovici, 2007). Ces approches permettent d'envisager la littérature dans une conception élargie des supports considérés comme littéraires. Le livre est vu comme n'étant «pas la seule destinée de la littérature, tout juste un objet transitoire, une possibilité, voire une hypothèse» (Rosenthal et Ruffel, 2010). La littérature déborde le texte et s'hybride avec d'autres pratiques, d'autres objets et media (Guilet, 2013). À l'instar de celui du cinéma (Youngblood, 1970), cet élargissement de la notion de littérature est lié à des enjeux esthétiques. Mais il est également travaillé par des enjeux socio-économiques concernant les acteurs du champ littéraire. En effet, cherchant des moyens financiers de vivre de leur écriture, les auteur·es se saisissent des possibilités offertes par les centres d'Art contemporain, par la multiplication de festivals, rencontres littéraires (Sappiro & alt., 2015), résidences, ateliers d'écriture, etc. Dans ces contextes, la littérature rencontre son public en adoptant des formes connexes, notamment celles de la performance. Cette proximité entre écrit et performance structure également le modèle économique de la littérature numérique constitué de lectures-performances plus que de ventes d’exemplaires (Bouchardon, 2014).
Faire performance en littérature, et plus particulièrement en littérature avec les technologies numériques, ouvre un champ de pratiques multiples. Si la performance au sens large «est une mise en acte ou en action d’un matériau», il est permis de voir dans la poésie numérique animée ou cinétique l’héritage de la poésie concrète comme tension vers la performance et de considérer que, tout comme «la poésie concrète réalise une performance du texte poétique traditionnel» (Menoud, 2006), la littérature et la poésie numériques réalisent une performance du texte par son mode d'apparition même. Délaissant un «imaginaire pétri par la culture de l’imprimé», la littérature élargie rencontre la culture de l’écran et englobe «des pratiques artistiques d’abord caractérisées par le mouvement qui les engendre» (Audet et Brousseau 2011). Ce rapprochement de la littérature à la performance a lieu dans les processus d'écriture qui ne sont plus distincts, antérieurs et achevés, mais désormais simultanés à la lecture. Dans l'écrilecture, le corps du texte se substitue à celui du performeur. Mais, le corps n'est certes pas toujours exclu de la littérature, au contraire.
Dans un sens plus précis, la performance peut être définie par le fait de tenir, pour un temps donné prédéfini ou non, la mise en corps d’une proposition (Haute, 2020). Il s'agit d'une part de performer quelque chose en vue de la production d’un résultat sensible extérieur à l’action elle-même. Cette acception est par exemple mise en exergue par la performeuse et graphiste Ilke Gers qui, ramenant en premier plan le corps écrivant et le geste d'écriture, a écrit à la main, en tant que performance de longue durée et création graphique, l'ouvrage Art at Large de Marga van Mechelen. Il peut s'agir d'autre part de faire performance : l’action pour elle-même ne vise alors pas d'autre chose que sa propre réalisation (Lista, 2012). Définitivement ancrée du côté de l'éphémère, hic et nunc, cette deuxième acception se heurte, dans sa conception la plus stricte, à l'interdit de documentation et conservation.
Cet interdit est rendu caduc par les dispositifs d'écrilecture qui rabattent en une même action partage immédiat et conservation (Haute, 2013) et ouvrent la possibilité d'une continuité de la performance à l'écrit, de la scène au livre, et réciproquement. Les travaux d'Anne Kawala par exemple sont structurés par ces allers-retours depuis les performances vers le livre ou bien depuis le livre vers les performances. Ses lectures publiques dépassent l'exercice de la simple promotion d'un livre pour explorer l'oralité, la spatialité, etc. (en ce sens, voir également les lectures-performances de Lucille Calmel, Thomas Clerc, Camille de Toledo, Chloé Delaume, Olivia Rosenthal ainsi que le travail mené par les scènes littéraires comme la Maison de la poésie de Paris). Le concept de conférence-performance (Athanas- sopoulos, 2018; Blesh, 2017) à permis de circonscrire une partie de ces pratiques.
Lorsque l'écriture, réalisée en collectif, au moyen de Bot, par agglomération d'éléments préexistants ou par parcours de sérendipité, trouve pour principale forme de restitution publique la verbalisation par son ou ses auteur·es (Roberte Larousse, Seumboy Vrainom :€), elle rejoue d'une nouvelle manière une instabilité de statut et d'existence, une fugitivité, qui semble amener ces inscriptions à relever d'un statut paradoxal, plus proche, d'une certaine manière, d'une forme orale que d'une forme écrite. Lorsque l'écriture se déploie dans les réseaux sociaux, ou bien lors de mises en scène au sein de jeux vidéo et d'espaces interactifs, elle emploie des stratégies de déplacement, décontextualisation, recontextualisation des contenus trouvés en ligne (Kenneth Goldsmith, Fabrice Masson Goulet) ou par des créations originales (Alexandra Saemmer, Jean-Pierre Balpe). Ces stratégies peuvent être protocolaires, comme les auto-appropriations d'échanges épistolaires numériques de Margot M*** qui font le récit des négociations et conditions de rencontres de corps voyeurs et exhibés.
Faire performance en littérature, c'est également se servir du dispositif performatif, utilisant un environnement technologique et numérique, comme matrice-créatrice, pouvant ou non aboutir à la publication d'un livre (pensons à Jean Yves Jouannais, Benjamin Serror ou Emmanuelle Pireyre). Et c'est dans ce cadre que prend place une partie du corpus de la littératube (Bonnet et Thérond, 2018).
Faire performance comme faire littérature en contexte numérique s'accompagne d'un positionnement vis-à-vis des conditions technologiques mobilisées. L'utilisation de ces dispositifs techniques se trouve, par essence, pris dans un faisceau de questions politiques et sociales autour des enjeux de souveraineté technologique, des formats libres ou propriétaires, de négociation avec les architextes (Jeanneret, 2014), des conditions d'utilisations de services numériques, de propriété des contenus générés par les utilisateur·trices, etc. avec lesquels les auteur·es doivent composer. Du point de vue de la littératie, le geste le plus léger (production de contenu au sein d'un plateforme existante) comme le plus complexe (développement technique inédit), ou encore tout autre geste intermédiaire (emprunt ou appropriation d'outils existants, développement d'éléments dédiés à une plateforme, etc.) relèvent
de technologies d'écriture et de cadre de pensée singuliers (Goody, 1979; Chartier, 1985; Fraenkel, 2006) qu'il s'agit d'analyser et de comprendre.
AXES
Les contributions pourront aborder des thématiques suivantes:
* Performance narrative sur les réseaux sociaux;
* Littérature électronique;
* Art numérique;
* Littératube;
* Performativité de l'auteur·e ou lecteur·rice dans la littérature électronique;
* Littérature à contraintes numériques;
* Performance post-internet;
* Plasticité de l'écriture;
* Remédiation;
* Technologies / techniques d'écriture;
* Uncreative writting et écritures d'appropriation;
* Liens entre littérature et jeu vidéo;
* Littérature conceptuelle et procédurale;
* etc.
Le corpus mobilisé dans cet appel est francophone. Pour autant, dans la mesure où la langue d'écriture de la contribution reste le français, toute contribution consacrée à des œuvres d'autres langues sera considérée avec intérêt.
MODALITÉS DE DÉPÔT
Les propositions de contribution sont à envoyer d'ici au 2 mars 2020 à: .
Elles incluent les éléments suivants:
— Prénom, nom et rattachement institutionnel;
— Titre de l'article;
— Résumé (± 500 mots);
— Bibliographie;
— Notice biobibliographique (± 250 mots).
Après réponse positive du comité de rédaction le 10 mars, les articles complets seront attendus pour le 10 mai 2020. Ils feront l'objet d'une lecture en double aveugle par le comité scientifique.
FORMATS DES CONTRIBUTIONS
D'un point de vu formel, ce numéro souhaite mettre en pratiques différentes conditions d’émergence du sens. Il sera ouvert à des formes d'écritures hybrides, dans la filiation de revues qui, dans les année 1970, ont mêlé portfolio, nouvelle, BD, tract, manifeste et autres ovnis graphico-théoriques aux côtés d’essais académiques (Semiotext(e), Recherches, Sorcières, Multitudes, etc.). Il s'agit d'accueillir des expérimentations formelles de médiation pour expliciter et s’approprier des concepts en ayant recours au vocabulaire du fanzine, de la BD, du comics, de l’illustration voire du mème.
Ce numéro souhaite donc accueillir des contributions de natures variées telles que:
— Des articles théoriques ou de recherche-création en lien avec la problématique;
— Des propositions écrites dans des formes inhabituelles sont bienvenues (BD, dessin, etc.) sous réserve des contraintes de reproduction (format de la page: 16,5 x 21 cm);
— Des propositions conceptuelles ou des remédiations de pratiques littéraires, performatives et numériques.
Enfin, le comité de rédaction désire mettre en jeu la forme et l'écriture du numéro dans un même geste à travers l'utilisation des techniques de CSS print.
Les contributions souhaitant investir cet aspect seront observées avec grand intérêt.
Consultez l'appel complet en pièce jointe.