Activité étudiante
Appel de texte
À quelques mois de l’avalanche de commémorations qui souligneront en grande pompe les dix ans de la grève étudiante québécoise de 2012, alors qu’on s’apprête à dépoussiérer les pages jaunies de la revue Fermaille, Postures s’intéresse aux influences réciproques qu’exercent les uns sur les autres textes littéraires et mouvements sociaux. À cette heure des bilans, il est nécessaire d’insister sur l’importance des «moments de rupture vécus à plusieurs» (En suspens 2012, 22) qu’ont suscités les luttes du printemps 2012, non sans souligner les angles morts politiques d’un mouvement marqué par bon nombre de dérapages sexistes et racistes1, pour ne nommer que ceux-là. Pour raviver les souvenirs du conflit étudiant et pour souligner sa dimension littéraire, cet appel invite donc à examiner les «textes en vers et en prose écrits dans et pour la grève» (Lacroix, Nadon et Parenteau 2014, 233) qui ont jalonné le printemps et l’été 2012. Mais il se propose en outre d’envisager les rapports qu’entretiennent littérature et luttes collectives dans une perspective plus large.
On peut caractériser les «mouvements sociaux» comme des «formes d’action collective concertée en faveur d’une cause» (Neveu 2019, 9) et participant, de fait, d’un «agir-ensemble intentionnel» (9). De Mai 68 au mouvement #MeToo et d’Idle No More aux Gilets jaunes, les mouvements sociaux prennent forme à des échelles diverses et selon des modes d’organisation variés. Les textes littéraires puisent de différentes façons dans les enchevêtrements de discours et de pratiques que tissent ces luttes collectives. Il peut s’agir d’en faire l’objet d’œuvres et de représenter ces conflits tout en les tenant à distance. Mais il peut aussi s’agir de les prolonger ou de les contester dans le cadre de «politiques de la littérature» plus affirmées. Notion centrale dans cet appel, la «politique la littérature» est définie par Jean-François Hamel (à la suite de Benoît Denis) comme «un système de représentations, plus ou moins largement partagé, élaboré par les acteurs du champ littéraire, qui, en réponse à un impératif de justification, contribue à établir la grandeur de la littérature dans le monde social» (2014, 14-15). Postures s’interroge: quelles politiques de la littérature les mouvements sociaux portent-ils? À quelles fins s’approprie-t-on ou détourne-t-on les mots par lesquels s’expriment ces luttes? Quels pouvoirs les militant·e·s prêtent-iels à la production d’œuvres?
De l’Essai sur les révolutions de Châteaubriand à la scène des barricades des Misérables et des Guérillères de Monique Wittig à Un œil en moins de Nathalie Quintane, l’éventail des écritures des mouvements sociaux est large. À titre d’exemples, on ne retiendra qu’une poignée de cas.
La littérature et la langue sont des outils de lutte pour les féministes de la première heure (Christine de Pizan, Olympe de Gouges, Mary Wollstonecraft). Cet engagement pour les causes sociales devient radical à partir des décennies 1960-1970: tant par la forme que par le fond, les autrices interrogent la place des femmes dans le texte, dans la langue et dans la société. Cet élan se poursuit dans les années qui suivent, la littérature continuant d’être une arme non seulement pour les luttes féministes, mais aussi pour les luttes 2SLGBTQIA+, qui occupent une place de plus en plus importante dans la sphère publique. Si certains textes dénoncent ouvertement les oppressions vécues par ces groupes par le biais de discours explicites, d’autres proposent plutôt une transformation des représentations. Ainsi, on peut voir dans plusieurs œuvres littéraires une volonté de rendre visibles certains groupes marginalisés ou de proposer des modèles alternatifs aux représentations stéréotypées des femmes ou des groupes 2SLGBTQIA+ (pensons aux personnages de The Color Purple d’Alice Walker (1982) ou au roman La fille d’elle-même de Gabrielle Boulianne-Tremblay (2021)). Cela se voit par la plus grande diversité de personnages que figurent les œuvres, mais aussi par le traitement d’enjeux peu abordés en littérature, comme ceux que soulèvent la charge mentale des femmes, l’homosexualité et la transexualité.
De surcroît, il y a lieu de noter l’émergence d’une pensée féministe noire dès les années 1970. Cette dernière se réapproprie une histoire volontairement écartée de l’imaginaire occidental. Les femmes racisées investissent un espace public autrefois blanc et masculin pour y bâtir un lieu d’émancipation et de revendication qui se sépare d’une double oppression raciale et sexuelle (Hill Collins 2016, 193). C’est le cas de la protagoniste Ifemelu du roman Americanah (2013) de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, qui dénonce les standards de la société américaine dans son blogue Raceteeth. De manière plus générale, il convient de souligner la place qu’occupe la littérature dans les mouvements antiracistes, des luttes décoloniales au mouvement Black Lives Matter (BLM). Armes efficaces, les mots détiendraient selon l’écrivaine et militante Audre Lorde la capacité «[to] [transform] the silence into language and action» (2007 [1984], 42). Pour plusieurs, la littérature permettrait de faire émerger de nouvelles subjectivités à même de problématiser et de contester les discours et les représentations qu’impose la blanchité dominante. D’ailleurs, il y a lieu de relever l’attention que prêtent les acteur·rice·s des luttes décoloniales et antiracistes aux études de la blanchité («Whiteness Studies») qui tâchent de rendre compte du caractère socialement construit de la «race». Pensons à James Baldwin et à The Fire Next Time (1963) ou encore à Toni Morrison et à son essai Playing in the Dark (1992). Plus récemment Reni Eddo Lodge et son ouvrage Why I’m No Longer Talking to White People About Race (2017) dénoncent le privilège blanc et ses conséquences. Ces œuvres à portée politique refusent de taire les violences raciales.
Pour ce trente-cinquième numéro, Postures vous invite donc à étudier comment les textes littéraires se font la chambre d’écho des luttes qui secouent les rues et, inversement, comment les œuvres alimentent ou relancent les mouvements sociaux. De quelles façons les postures d’activiste et d’auteur·rice peuvent-elles se recouper? Que font les luttes collectives, d’après les écrivain·e·s? Que peut la littérature, d’après les militant·e·s?
La thématique de ce numéro ouvre la porte à une multiplicité d’axes et d’approches :
- Les politiques de la littérature défendues par les groupes militants
- La littérarité des slogans, des tags, des graffitis, de la presse militante
- La fictionnalisation d’actions collectives
- La subversion et le détournement de discours dominants
- L’autodéfinition et la réappropriation de soi
- La violence et ses représentations littéraires
- L’analyse générique de la chanson engagée, du zine, du manifeste
- Etc.
Les textes proposés, d’une longueur de 12 à 20 pages à double interligne, doivent être inédits et soumis en utilisant le formulaire conçu à cet effet, sous l’onglet «Protocole de rédaction» de notre page web, avant le 18 janvier 2022. La revue Postures offre également un espace hors dossier pour accueillir des textes de qualité qui ne suivent pas la thématique suggérée.
Veuillez accompagner votre article d’une courte notice biobibliographique qui précise votre université d’attache. Les auteur·rice·s des textes retenus —obligatoirement des étudiant·e·s universitaires, tous cycles confondus— devront participer à un processus de réécriture guidé par un comité de rédaction, avant leur publication.
Afin de favoriser la représentation d’une pluralité de voix dans ses pages, le processus de sélection de textes de Postures comporte à présent des mesures de discrimination positive. Les personnes racisées et les personnes issues des minorités de genre qui le souhaitent peuvent mentionner dans la notice biobibliographique qui accompagne leur soumission qu’elles veulent bénéficier de ces mesures (les informations que contiennent ces notices demeureront strictement confidentielles).
- 1. Voir Ancelovici et Roy-Allard 2014 et Delvaux et al 2014.
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