Les recherches sur les femmes artistes, collectionneuses, critiques d’art, sont aujourd'hui bien implantées en histoire de l’art. En revanche les travaux sur la place, le rôle et la participation des femmes à l’administration et l’organisation des musées, à la muséologie et la muséographie, ou à la médiation et à la transmission muséale, sont peu nombreux, du moins en France. Pourtant, depuis les années 1990, quelques travaux ont permis de relire l’histoire des musées au prisme du genre, c’est-à-dire en considérant la construction culturelle et sociale des identités masculines et féminines, et leurs « multitudes » identitaires (sociales, sexuelles et raciales). Qu’ils développent un point de vue historique ou plus contemporain, qu’il s’agisse de cas d’études, d’expériences personnelles ou d’analyses globales, ces travaux ont permis de déplacer la focale, de renouveler notre regard sur une muséologie longtemps androcentrée et hétéronormée. Pensons à l’ouvrage pionnier de Jane R. Glaser et Artemis Zenetou (Glaser, Zenetou, 1994), à celui d’Amy Levin (Levin, 2010) envisageant selon une perspective genrée les pratiques muséales et curatoriales, ou à celui de Gail Lee Dubrow et Jennifer Goodman qui focalise son attention sur les Américaines ayant contribué à la préservation, la restauration et la visibilité du patrimoine matériel ou immatériel de leur pays (musées, bibliothèques, sites naturels…) (Dubrow, Goodman, 2003). Plus près de nous, l’article de Bernadette Dufrêne intitulé « La place des femmes dans le patrimoine », faisant suite à un rapport du Sénat plutôt alarmant, a permis d’attirer l’attention sur un paradoxe profond : celui fondé sur une surreprésentation des femmes dans les formations au patrimoine et, a contrario, leur sous-représentation à des postes de direction une fois entrées en activité dans ce même domaine (Dufrêne, 2014).
Ce numéro, sous la direction de Charlotte Foucher Zarmanian (CNRS, LEGS) et Arnaud Bertinet (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, HiCSA), entend donc poser les jalons d’un champ de recherches encore peu exploré. Il prévoit, pour cela, de couvrir une longue période allant de 1850 à nos jours. S’inscrivant dans une histoire globale des femmes et des intellectuelles, il souhaite accorder une large place à des réflexions d’ordre historique, historiographique et sociologique, pour remonter aux origines de ces inégalités, mais aussi prendre en considération des problématiques plus récentes comme celles des musées de femmes ou des musées virtuels. Les musées sont donc entendus ici dans une acception large : beaux-arts, histoire, ethnologie, anthropologie, musées de société, musées de sciences, de techniques et d’industrie, musées publics et privés, musées virtuels et imaginaires. Par ailleurs, si ce projet éditorial prend la France comme périmètre principal, il s’étendra à d’autres pays, pour introduire, dans ce cadre élargi, des approches comparatistes et des réflexions sur les nationalismes, les mobilités intellectuelles et les transferts culturels.
L’objectif du numéro est double : évaluer la place des femmes dans les musées, et proposer une histoire renouvelée de la muséologie et du patrimoine / matrimoine par l’intermédiaire des études de genre.
Il procèdera à l’examen des rapports sociaux de sexe, à l’analyse des mécanismes d’inclusion et d’exclusion, en examinant si ces exclusions affectent les représentations que l’on peut avoir des patrimoines et des collections muséales. Il s’interrogera sur la place, le regard, les spécificités, qui seraient réservé.e(s) aux femmes dans un milieu institutionnel qui a aussi participé à leur accomplissement personnel et à leur réussite professionnelle. Certains statuts sont longtemps apparus comme emblématiques chez les femmes : conservatrices du patrimoine, donatrices, conférencières, etc. Toutefois, c’est à partir du tournant organisationnel, communicationnel et commercial des musées, dans les années 1980, que pourront être interrogés l’accès des femmes à des positions de responsabilité (direction des musées de France, inspection générale, présidence d’établissements), à de nouveaux segments professionnels (scénographie et expographie, régie des œuvres, marketing culturel, médiation culturelle, personnel de sécurité et de surveillance, gestion des sites numériques et réseaux sociaux…) ou à des niveaux d’engagement social (sociétés d’Amis de musées, blogs et sites de discussions, prescripteurs de visite) qui signeraient (ou non) un basculement de l’institution muséale du côté de l’égalité des sexes, voire d’une féminisation de cet environnement professionnel.
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