L’œuvre de Christian Metz, en tant que sémiologie du cinéma, s’est nourrie de la linguistique saussurienne et hjelmslevienne, d’abord (et brièvement) mâtiné de phénoménologie merleau-pontyenne, puis de la psychanalyse freudo-lacanienne. C'est une oeuvre qui s'articule en trois temps ou moments forts: le moment « cinélinguistique » des Essais sur la signification au cinéma (Tomes I [1968] et II [1972]) et de Langage et cinéma (1971); le moment psychanalytique du Signifiant imaginaire (1977); et le moment énonciatif dans L'énonciation impersonnelle ou le site du film (1991).
Metz lui-même était conscient que ses travaux se déployaient en-deçà d’un seuil qu’il n’osait rarement franchir dans ses publications. Dans une entrevue réalisée en 1975 il dit : « Et puis, il y a cette résistance qui me retient sur le bord de l’objet film, comme si j’étais devant un seuil que j’hésite à franchir. Ça tient certainement au fait que je l’ai trop aimé à une certaine époque. Les coups de patte contre la cinéphilie dont je parsème scrupuleusement mes écrits sont la liquidation d’une vieille querelle avec moi-même. Quand j’y pense, se sont sans doute les seuls passages un peu agressifs et polémiques qu’il y ait dans mes livres. Aujourd’hui, la cinéphilie est une attitude que j’ai largement ‘dépassée’, qui me fait sourire, mais il faut croire que je ne l’ai pas entièrement dépassée puisque je constate, quand je suis franc, que je lui en veux […] Je crois que c’est ce même problème qui explique ma résistance à l’analyse textuelle. Si je m’y lance il faudra me remettre en position (au moins partielle) de cinéphile, ‘coller’ à un film précis, et en même temps continuer à nourrir un discours théorique. Je n’ai jamais tenu ces deux postures en même temps (1978 : 25). L’absence de films (et d’analyses de films) dans le travail théorique de Christian Metz — comme souvent dans le travail des filmologues qui l’ont précédé — lui a valu de nombreuses critiques. On lui a notamment reproché de ne pas « aimer » le cinéma, alléguant même que le « Metz cinéphile » contrelequel, en un sens, c’était formé le « Metz théoricien » n’avait jamais vraiment existé. Or, jusqu’à maintenant il a été impossible de travailler sur le « Metz cinéphile », ni même de s’en faire une « image », dans la mesure où c’est l’autre Metz, le théoricien, qui s’est exprimé en public et qui a publié ses travaux. C’est pourtant ce rapport trouble entre les deux Metz, le théoricien et le cinéphile esthéticien, que j'examine à partir d’inédits trouvés dans le Fonds Christian Metz de la BiFi.
Ces notes inédites nous renseignent d’abord sur la conception metzienne de l’expérience filmique. Elles décrivent et attestent d’une dimension phénoménologique de sa pensée qui, bien que présente dans quelques uns de ses premiers textes théoriques, a été reléguée à l’arrière plan (sans pour autant disparaître entièrement) par les discours sémio-linguistiques et psychanalytiques. Or, il s’agit bien d’une phénoménologie appliquée de l’expérience esthétique. Malgré d’importantes variations au fil des ans, les notes de Metz montrent qu’il était particulièrement attentif à l’aspect proprement esthésique des films : Metz ici ne s’intéresse plus tant à la nomenclature des effets langagiers du cinéma (la dimensionparadigmatique de son travail de sémio-linguiste du cinéma) mais à leurs propriétés esthétiques — la « beauté », bien entendu, mais aussi nombre d’autres propriétés esthétiques qui se manifestent dans l’expérience d’un film. Metz, en effet, s’applique à décrire les qualités et les effets de la couleur, des mouvements d’appareil, du montage, le rapport image/son, de la mise en scène, et ce, tout en considérant le contenu des films et le parcours de certains cinéastes. Ces notes sont aussi un lieu de réflexion esthétique d’où émergent des concepts, tel, par exemple, celui de « transvisualisation » avec lequel il traduit l’expérience du film de Mankiewicz The Barefoot Countessa (1954). Puis, dans ses notes sur Alexandre Nevski(Eisenstein, 1938) Metz montre que le film conduit à repenser le rapport image/musique sous l’angle de l’opéra.
Ce projet de recherche s’articule autour de deux visées. Dans un premier temps, il s’agit de rendre public, grâce à la publication d’une monographie, les notes inédites de Christian Metz sur les films de manière à rendre public « l’autre » Metz, le cinéphile. Ensuite, il s’agit de s’interroger, à partir de ces notes, sur les rapports entre esthétique et sémiologie dans l’œuvre de Metz.