Ce programme de recherche vise tout particulièrement à approfondir dans les romans d'Émile Zola les effets esthétiques et poétiques de ce que l'anthropologue du langage Jack Goody nomme la « raison graphique » (La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Minuit, 1979). À partir de ses travaux, nous analysons d'une part la place des systèmes institutionnels qui se rapportent fortement à « l'écrit » (judiciaires, administratifs, journalistique, éducatifs, etc.) et d'autre part nous voulons saisir la place de certains écrits (documents officiels, contrats, testaments, actes notariés, livret, livres de comptes, jugements, mais aussi romans, textes idéologiques, chroniques, lettres, catalogues, listes, etc.) dans l'œuvre de l'écrivain, afin d'étudier leurs implications romanesques. Ce projet explore comment la littératie — ou culture écrite — transpose au cœur même de la cosmologie imaginaire zolienne un système de dispositions cognitives, narratives et esthétiques. C'est-à-dire qu’est-ce que la culture écrite implique significativement dans l’univers du roman? Quelle est son emprise, au sens d'« architecture de l'imaginaire », sur la manière de penser et donc d'écrire? Cette étude permettra de saisir et d'analyser dans le roman du XIX siècle, les effets transformateurs de l'élargissement de la bureaucratie et de la juridiction que connaît cette époque, de l'impact de la presse et de l'incidence d'une nouvelle économie d'affaires où le document institue des manières de faire, d'être et de penser différentes. C'est un fait que la culture de l'écrit établit des règlements à l'intérieur desquels les rites coutumiers et les codes d'honneur (paroles, promesses, logique du don contre-don, duel) sont de moins en moins agissants.
L'étude attentive des documents imaginaires et des autorités de papier, de la circulation des premiers et du fonctionnement des secondes dans les romans, permet d'une part de mieux saisir les contrecoups romanesques de l'institutionnalisation grandissante de la culture et de l'accroissement de la bureaucratie, qui ne sont jamais détachés de leur intégration dans l'ordre social et culturel et d'autre part, d'en comprendre, par l'analyse de leurs représentations, les effets dans l'imaginaire zolien. Dit autrement, cette approche permet de déchiffrer et de saisir l'impact des « autorités de papier » dans le roman (de son élaboration au stade final), ainsi que les effets de ces nouvelles institutions sur les habitus culturels (avec leurs règles explicites et implicites) tels que représentés par l'écrivain.