L’imaginaire du Nord renvoie, dans l’imaginaire occidental, à une série de figures, couleurs, éléments et caractéristiques transmise par des récits, romans, poèmes, films, tableaux et publicités qui, depuis le mythe de Thulé jusqu’aux représentations populaires contemporaines, en ont tissé un riche mais complexe réseau de significations symboliques. Le « Nord » pose le problème de la relation entre le réel géographique et l’imaginaire, puisque ceux qui ont écrit ou qui ont lu sur lui n’y sont pour la plupart jamais allés. Les représentations du « Nord » se découvrent comme autant de couches de discours, provenant de diverses cultures, reprises et travaillées par différents courants esthétiques.
Comme l’ont démontré des analyses contemporaines issues de l’Europe, de la Scandinavie, du Canada anglais et, récemment, du Québec, le « Nord » est d’abord et avant tout un réseau discursif, dont on peut retracer historiquement les constituants, les formes privilégiées, les figures, les personnages, les schémas narratifs, les couleurs et les sonorités. Il a le mérite, d’une part, d’être variable selon la position du locuteur (Moura et Dubar, 2000), d’autre part, d’avoir des caractéristiques communes, « circumpolaires », comme l’a méthodologiquement démontré le géographe et linguiste Louis-Edmond Hamelin (surtout 1975 et 1996) par ses concepts féconds de « nordicité » et d’« hivernité ». En somme, on doit parler du « Nord » comme de « l’idée du Nord » (Grace, 2002).
L’objectif de ce projet est de rédiger une histoire des formes et des pratiques littéraires liée à l’« idée du Nord » dans la littérature québécoise, de 1846 à 2003. Motif de distinction vis-à-vis de la littérature française au tournant du 20e siècle, élément constitutif de découverte et d’enracinement dans le territoire qui a induit certaines formes discursives particulières, discours poétique, symbolique et parfois politique qui rejoint un Nord mythique et universel, le « Nord » parcourt l’histoire de la littérature québécoise, lui permet de se différencier des autres littératures, tout en favorisant une prise de conscience des spécificités du milieu duquel elle est issue et des rapprochements possibles avec les autres cultures nordiques. À l’aide d’un corpus représentatif d’œuvres réparties en sept courants liés au « Nord » et à l’hivernité, appuyé d’un discours critique (du Québec, du Canada anglais, de la Scandinavie et de l’Europe) sur la nordicité, l’hivernité (concepts fertiles proposés par Hamelin) et la constitution du « Nord » en tant qu’idée et réseau discursif, notre objectif est de proposer une synthèse historique qui puisse poursuivre l’exploration amorcée par des travaux antérieurs (Collet, 1965; Warwick, 1972) et inscrire une réflexion spécifique à la littérature québécoise dans le cadre méthodologique et théorique des imposants travaux similaires en cours pour la littérature canadienne-anglaise (Mitcham, 1983; Atwood, 1995; Grace, 1996 et 2004, Hulan, 2002) et les littératures scandinaves (Schmid, 1985; Boyer, 1986; Kent, 2000; Fjågesund, 2003; Andersson, 2004).
Ces bases théoriques — discours critique sur la représentation du Nord dans le contexte québécois, canadien-anglais, européen et scandinave, histoire de la vie littéraire (par une attention aux formes, pratiques et problématiques historiques), esthétique de la réception et définition des frontières de la littérature — appuient un travail de mise en contexte comparé de la littérature du Québec avec d’autres littératures nordiques et une analyse des rapports entre le réel géographique et l’imaginaire. L’importance des travaux réalisés dans les années 1970 sur le Nord de la littérature québécoise ne saurait être remise en cause; ce dont témoigne bien le nombre d’occurrences critiques dont ils font toujours l’objet; cependant, les avancées récentes sur l’imaginaire du Nord dans les autres aires culturelles, le renouvellement de l’historiographie littéraire et, bien sûr, l’évolution contemporaine de la littérature québécoise, fondent tout à la fois la nécessité de concevoir une synthèse historique du phénomène (rendue possible notamment par des travaux extensifs d’identification du corpus) et son originalité.