Ce projet de recherche vise une archéologie de l’imaginaire contemporain. Il développe la problématique suivante. La critique littéraire tend à associer spontanément les formes de désengagement et de désillusion observables dans la littérature française actuelle (Volodine, Rolin) au désenchantement plus vaste dont fait état la pensée qui lui est contemporaine (Lyotard, Taguieff).
Sans être fausse, une telle analogie pose doublement problème. D’une part, les constats d’une césure dans l’histoire des idées – généralement associés à un épuisement, voire un dépassement de la modernité – situent le moment d’une telle rupture symbolique non pas aux alentours de 1980, date à laquelle se situe l’apparition de la littérature dite « contemporaine », mais immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, dans le sillage des révélations sur les camps de concentration ou de l’utilisation de l’arme atomique. D’autre part, dès cette époque (l’après-guerre), émergent une littérature et une pensée (Beckett, Blanchot, Cioran) agoniques ou crépusculaires, dont tant le fond que la forme ont une influence majeure sur les œuvres contemporaines de l’avis même de leurs auteurs.
Ces observations mènent à poser l’hypothèse de l’émergence – ou de la cristallisation –, au cours des années 1940, de ce qu’on nommera désormais un « imaginaire de l’après ». Cet imaginaire – ou état de l’imaginaire – exerce d’emblée une influence sur la pensée et la littérature de l’époque ; accroît sensiblement sa teneur lors des décennies suivantes, marquées par une série de revers symboliques ; et atteint son plein rayonnement au cours des années 1980-1990, notamment lorsque la faillite de certaines autres formes de représentations collectives (les idéologies politiques du XXe siècle, par exemple) lui laisse le champ libre pour se déployer (et/ou en fait un principe soudain recevable d’explication du monde).
Pour démontrer cette hypothèse – ce qui implique de suivre l’évolution parallèle de l’histoire de la France, d’un thème littéraire et philosophique, d’une forme esthétique et d’un état de l’imaginaire –, le travail de recherche proposé consistera à retracer les modes de conceptualisation et de représentation de l’« après », tels qu’on les retrouve dans la littérature et la pensée des années 1940 à aujourd'hui.