L'objectif principal de cette recherche sur les bandes annonces américaines (1916-2000) est de les analyser comme représentations d'un film. La tâche première des bandes annonces, en effet, est de faire connaître un objet différent d'elles-mêmes, soit un long métrage dont elles font la publicité. À ce titre, elles doivent tenir lieu de cet objet d'une façon ou d'une autre. Or c'est là, précisément, la définition classique de tout signe : aliquid stat pro aliquo (quelque chose tient lieu de quelque chose). Nous proposons donc une étude sémiotique de la bande annonce dans son rapport de représentation avec le film dont elle est le signe. Comme c'est le cas pour les signes les plus élaborés (ou complets) selon la sémiotique du logicien américain C.S. Peirce (par exemple, les signes du langage), la finalité des bandes annonces est d'être interprétées. C'est pour cette raison qu'elles sont produites et distribuées.
Ultimement, l'interprétation visée est la formation ou la poursuite d'une habitude, d'une croyance. En effet, selon Peirce, toute croyance est une habitude dont nous sommes conscients. Or, une habitude est une disposition générale à agir d'une certaine manière dans l'avenir. Il n'y a aucun doute que les bandes annonces visent à affermir ou à former une croyance chez les spectateurs, en vertu de quoi on espère qu'ils seront amenés à investir temps et argent dans un film. Une telle croyance doit évidemment s'articuler à un désir qu'elle vise à assouvir.
Pour le dire simplement, les bandes annonces doivent participer à la formation ou au renforcement d'un désir, lequel est une représentation générale de l'objet désiré (comme le remarque Peirce, on désire rarement une chose particulière mais plutôt un type de chose auquel la chose particulière appartient, c'est-à-dire une idée ou représentation générale de cette chose). Cette représentation peut ensuite s'interpréter dans un acte concret - par exemple, aller au cinéma - tel que cet acte est susceptible soit de conduire à la formation d'une nouvelle habitude, soit de consolider une habitude déjà formée. Toutefois, qu'un tel acte se produise ou non ne change rien à cette visée de la bande annonce. La réalisation de notre objectif de recherche nécessite que l'on dénoue dans le détail cet écheveau complexe de relations de représentation et d'interprétation en examinant le rapport intertextuel de lieutenance qui unit la bande annonce et le film dont elle se fait l'annonce. Car entre la bande annonce et l'habitude visée, il y a toute une série d'étapes logiques (ou sémiosiques) intermédiaires qu'il faut pouvoir décrire. Peirce nomme « argument » tout signe dont on prévoit les conséquents (l'interprétance), qu'ils soient possibles, probables, ou nécessaires, et c'est à ce titre, c'est-à-dire en tant que signes argumentaires, que nous entendons analyser les bandes annonces.
L'argument, quel qu'il soit, porte toujours sur un type de chose et non sur une chose singulière. Cette dernière n'est mise en cause par l'argument que comme occurrence d'un type général auquel elle appartient. Par conséquent, si l'on convient que les bandes annonces sont des arguments, leur objet (le film dont elles font la publicité) doit être considéré comme occurrence d'un type. C'est la représentation de telles choses générales qui s'interprètent dans l'habitude, non pas d'aller voir un film particulier, mais d'aller au cinéma. Ce que promet alors la bande annonce est une relation de l'individu (le film) au type. Le désir qu'elle cherche à former ou à renforcer est celui de la manifestation du type dans le particulier, c'est-à-dire la façon qu'a un film de participer à des conceptions générales du cinéma - à une image, un imaginaire du cinéma. La bande annonce, en somme, est toujours la représentation d'un film à travers une idée générale de celui-ci et il est clair qu'elle serait tout simplement incompréhensible pour quiconque ne possèderait aucun savoir sur le cinéma, aucune idée générale – aucune mémoire, aucun imaginaire – sur les films.
Notre programme de recherche vise à mettre à l'épreuve cette hypothèse. Toutefois, il ne s'agit pas d'y réduire simplement les bandes annonces, mais plutôt de voir, à travers leurs différents modes, à travers les différentes formes et stratégies (narratives, visuelles, sonores, thématiques, axiologiques) qu'elles sont utilisées pour représenter à chaque fois un film différent depuis le milieu des années dix, comment elles ont exprimé et marqué l'évolution d'une idée générale, d'un imaginaire du cinéma qui est aussi un désir du cinéma. A cet égard, notre projet suppose également un volet historique qui comprend analyses du discours et descriptions formelles.