Ce projet de recherche s'inscrit dans une démarche d'histoire littéraire du contemporain et vise à dégager une poétique, voire une politique des formes de l'innovation littéraire aujourd'hui. Car si nombre de travaux permettent de comprendre les trajectoires idéologiques et esthétiques des écrivains du XXe siècle, on peine à mettre en relief les modalités définissant les oeuvres issues de la «mutation profonde» (Viart, 2006) qui affecte la littérature française depuis le début des années 1980. Si on admet généralement que cette décennie marque en France, comme ailleurs en Occident, la fin des avant-gardes (Bürger, 1995), la question de la postérité ou de la « résilience » des formes expérimentales a cependant été peu étudiée par la critique. Les travaux portant sur la littérature contemporaine ont surtout mis l’accent sur les « retours » du sujet, du récit, du lisible. Or, il existe un nombre important d’oeuvres de fiction parues en France depuis 1980 qui refusent cette fiction de la rupture ou, plus exactement, qui prennent acte de l’échec des avant-gardes tout en s’inscrivant dans leur filiation, donnant ainsi un sens délibérément paradoxal à l’idée même de rupture, celle-ci n’étant plus désormais une fin en soi. En postulant que les oeuvres contemporaines portent les marques des aventures littéraires du passé, tout comme l’héritage de siècles d’innovations, ce projet souhaite montrer que l’écrivain d’aujourd’hui se distingue non plus par un «soupçon» (Sarraute, 1956) menant à refuser les règles établies en se pliant à l’injonction de nouveauté, mais bien par un scrupule à «parler de l’écriture en majuscule et militairement» (Cadiot, 1999). Autrement dit, les déclarations péremptoires et les revendications militantes cèdent le pas à une sensibilité nouvelle, basée sur l’autoréflexivité et la nécessité d’être critique face à l’effectivité de la littérature dans le monde. Ainsi, ce projet considère que le roman français expérimental, dédouané idéologiquement des velléités révolutionnaires de l’avant-garde, n’en est pas moins traversé par des enjeux politiques : sous des airs légers, volontiers ludiques, il se donne limpidement à lire alors qu’en sous-texte se trament des enjeux intertextuels, idéologiques et métafictionnels que les travaux liés à cette entreprise de recherche auront pour ambition de révéler.