Hiver 2020
Département des littératures de langue française - Université de Montréal
Source du péché originel, objet de connaissance, miroir de l’âme et des passions qu’il s’agit de réguler, foyer d’une identité souvent trouble, expression d’une sociabilité destinée au travestissement et au spectacle, les visions du corps et le regard que portent les sociétés occidentales sur le corps humain changent au fil du temps. Quel corps par quelle société, quel corps pour quelle société ? Quel corps-texte surgit du regard des auteures (et des artistes) entre la seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe siècle ? Telles seront les questions que nous adresserons, sur la base de textes critiques abordant le corps comme objet d’étude, à un certain nombre d’œuvres contemporaines écrites par des écrivaines.
Porteur de vie à sa base, le corps subit en effet rapidement des interventions; il est pour ainsi dire l’objet d’une construction sociale et culturelle. Aussi devient-il programme d’une société et, par effet de ricochet, de l’écriture. Parce que les savoirs et les discours sociaux (philosophique, religieux, anthropologique, sociologique et littéraire, entre autres) s’y inscrivent, le corps se donne à déchiffrer comme un texte. Pour David Le Breton et Christine Détrez, le corps est le lieu de tous les paradoxes. Tantôt considéré comme siège de l’identité, qui inspire des portraits moraux, tantôt réduit à la simple fonction d’enveloppe emprisonnant l’âme ou l’esprit, ou encore pensé, selon Foucault, comme lieu où s’exerce le biopouvoir, le corps est soumis à une vision qui reflète l’ancien dualisme entre esprit et corps, corps et âme, «masculin» et «féminin». Objet de réflexion pluriséculaire, le corps donne lieu à toutes les mises en jeu publiques et intimes: corps-tombeau, corps-marchandise, corps-outil, corps-réceptacle, corps travesti, corps jouissif, corps malade… C’est particulièrement vrai du corps féminin qui s’est vu longtemps emprisonné dans différents corsets – matériels et symboliques. On peut, en effet, se demander si cet «emprisonnement» et la libération du corps ne sont pas au cœur de l’écriture des femmes, de la modernité du XIXe siècle à nos jours.
Le séminaire est axé sur les écritures du corps, principalement celles sur le corps féminin, sur les valeurs qu’il véhicule, sur les savoirs et les langages qui le façonnent. Comment les corps s’inscrivent-ils dans les œuvres, comment se donnent-ils à lire dans les textes littéraires signés par des auteures, de Marguerite Duras à Wendy Delorme en passant par Anne Hébert, Josée Yvon, Assia Djebar, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Chloé Delaume, Élise Turcotte, Sofi Oksanen, Anne-Renée Caillée, Emma Becker ou Vanessa Springora? De quelle manière, selon quelles modalités scripturales se présentent ces corps (d)écrits? Quelles images et quelles formes sont associées aux corps dans le corpus à l’étude? Quel discours –social et critique– prévaut à quelle époque sur l’objet corps et que dit, à son tour, le corps sur la rhétorique d’un moment précis? Est-il légitime, comme on l’affirme souvent ces dernières années, de parler d’une «sursémiotisation» au sens d’une surabondance de représentations du corps dans l’écriture des femmes aujourd’hui? Notre réflexion sera guidée d’un côté par un certain nombre de textes théoriques (brefs exposés suivis d’une discussion plénière) et, de l’autre, par des cas de figure littéraires (corpus commun) que choisiront les étudiant.e.s selon leur intérêt individuel.