Créé en 2008, le concours Mnémosyne vient chaque année consacrer le meilleur mémoire de maîtrise soumis par un étudiant membre de Figura. Cette année, Figura, le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, a décerné le prix du meilleur mémoire à Alexandre Coderre pour son mémoire intitulé «Livre total, communauté de lecteurs et dérive interprétative dans Fragments de Lichtenberg de Pierre Senges ». Son mémoire a été présenté au département d'Études littéraires de l'Université du Québec à Montréal et dirigé par Jean-François Chassay.
Félicitations !
Résumé du mémoire:
« Plusieurs fictions françaises contemporaines détournent l’érudition de son mode de connaissance des faits et d’authentification des textes afin d’établir un rapport critique ou ludique aux savoirs. Elles formulent bien souvent une réflexion sur les conditions de possibilité de l’interprétation littéraire, surtout lorsqu’elles mettent en scène des enquêtes philologiques ambitieuses et des tentatives de déchiffrement de documents anciens. L’œuvre de Pierre Senges s’inscrit définitivement dans cette tendance. En faisant tourner son intrigue autour d’une communauté de lecteurs qui cherchent à reconstituer pendant tout le XXe siècle l’hypothétique roman-fleuve de Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) à partir des huit mille aphorismes de ce savant des Lumières allemandes, Fragments de Lichtenberg (2008) oppose entre elles deux théories de l’interprétation : l’herméneutique intentionnaliste et l’herméneutique anti-intentionnaliste. La première postule que l’intention des auteurs et le statut historique des genres littéraires déterminent la signification des textes, conférant ainsi à l’interprétation la tâche d’une reconstruction du sens ; la deuxième, se référant aux thèses de l’indétermination de la signification et de l’inaccessibilité de l’intention, considère au contraire les lecteurs comme les seul producteurs du sens de ce qu’ils lisent.
Le présent mémoire départage ce qui relève de l’une et de l’autre de ces deux herméneutiques pour montrer, en dernière instance, que Pierre Senges se sert des hypothèses interprétatives erronées de ses personnages de lecteurs afin de relancer l’opération fictive de son propre roman. L’épistémocritique, qui analyse les figures et les procédés rhétoriques par lesquels s’inscrivent les savoirs dans les fictions littéraires, et la théorie des configurations narratives de Paul Ricœur, selon laquelle les pactes de lecture assurent une lisibilité même au récits les plus déconstruits, sont les deux approches choisies pour mettre en évidence cette conversion de l’hypothétique en imaginaire.
Plus précisément, ce sont les figures du livre et de la communauté qui configurent dans un ensemble signifiant les dérives interprétatives dont est constitué Fragments de Lichtenberg. L’hypothèse d’un livre total attribué à tort à Georg Christoph Lichtenberg est un prétexte pour décliner presque à l’infini les spéculations au sujet du genre de l’œuvre en question et de la vie de son auteur. La communauté des lecteurs, quant à elle, permet d’historiciser les hypothèses interprétatives, de relativiser les méthodologies des études littéraires et de produire un récit original du XXe siècle. Ces deux figures sont le support d’une paranoïa du déchiffrement, dont Pierre Senges fait à la fois l’éloge et la critique. »