Les pratiques d’arts littéraires peuvent être appréhendées comme des réalisations qui, déployées hors du format livre traditionnel, inventent de nouveaux modes de rencontres avec le texte littéraire, qui suscitent des propositions littéraires innovantes ayant recours à des supports et moyens de diffusion relativement atypiques. Aussi, cet atelier viserait à creuser plus avant, à la suite d’une série d’autres évènements et travaux scientifiques sur lesquels il prend appui1, ce que ces types d’œuvres et pratiques occasionnent comme déplacements en regard de l’activité littéraire telle qu’elle est communément envisagée. En effet, depuis le large spectre de modalités expressives qu’elles représentent2, ces réalisations et expérimentations viennent remettre en jeu le geste de création littéraire, son lieu d’inscription et de diffusion usuel, autant que ses modalités formelles et matérielles. Ce sont ces trois focales qui seront particulièrement questionnées et mises en perspective à l’occasion de ce moment d’échanges, afin de saisir quelles expériences poétiques, esthétiques et publicationnelles novatrices ces œuvres et pratiques rendent possibles voire provoquent. Autrement dit, il s’agira d’envisager la question de la matérialité littéraire dans la diversité de formes et supports qu’elle peut prendre, lorsqu’elle échappe au cadre du support livresque conventionnel, canonique.
Il sera donc question de sonder la manière dont des propositions émanant de ce champ de la création ouvrent à d’autres usages et régimes d’expérience du fait littéraire – « plus hétérogènes et plus dynamiques, tantôt interactifs tantôt collectifs » (Lahouste & Audet,2023) –, édifiés à partir des textualités hétérodoxes qu’elles mettent en œuvre. En se concentrant sur des réalisations dont l’impulsion de création est littéraire – où le travail poétique apparait comme « unité vocationnelle de base », pour reprendre une formule de l’écrivain québécois Daniel Canty – bien que navigant entre différents champs disciplinaires et artistiques (arts visuels, arts plastiques, danse, musique, etc.), l’on se demandera ainsi, notamment, ce que l’imbrication de différents supports de diffusion pour un même projet engendre comme effets de divers ordres – en premier lieu peut-être sur le plan narratif –, mais aussi quels enjeux autant sémiotiques qu’imaginaires l’étoilement des supports dont certaines pratiques en arts littéraires font preuve mobilise-t-il ? Comment, en d’autres mots, ces transactions médiatiques façonnent- elles des textualités que l’on pourrait dire polymorphiques – à l’image par exemple de celle liée au projet Le Drap Blanc de l’autrice franco-québécoise Céline Huyghebaert qui a connu plusieurs développements médiatiques et occurences matérielles particulières entre 2016 et 2019, allant du zine au livre autoédité en passant par diverses formes expositionnelles ? Ou encore, quelles configurations et plasticités singulières une matière poétique – terme entendu dans un sens élargi – diffusée par-delà la forme usuelle du livre papier permet-elle de faire émerger ?
On tâchera de la sorte de voir comment les œuvres et pratiques d’arts littéraires développées en contexte francophone, au travers desquelles s’aménagent des types de médiation « fai[sant] rayonner la puissance vivante de l’immédiat, sans la capturer »3, engagent à composer avec l’aléatoire et l’incertain et jouent activement de leurs ancrages labiles. Pourront également être mis en lumière les dispositifs formels et narratifs innovants qui se dégagent de ces configurations qui mettent fréquemment à mal les principes de linéarité et d’homogénéité, de même que les façons dont elles frayent avec une série de pratiques illitéraires se caractérisant « par leur dédain des conventions usuelles de la lisibilité et de la transparence langagière et par une recherche tous azimuts des marges du texte et du sens » (Gervais : 2016). En substance, il sera question d’examiner les impacts sur les plans formels, matériels et éditoriaux des mobilités inédites auxquelles engagent les pratiques d’arts littéraires qui nourrissent un agir littéraire remodelé ainsi que le donnent par exemple à apprécier – parmi de nombreuses autres possibles – des œuvres comme celles de Valérie Mréjen, Antoine Boute, Maude Veilleux, Daniel Canty, Véronique Béland, Jérôme Game, Maud Joiret, Emmanuelle Pireyre, ou des collectifs tels que Ramen [QC], Algolit [BE], Anthropie [CH] ou encore L’aiR Nu [FR]. Cette perspective entraine elle-même un autre ensemble de questionnements, tels que : que cela peut- il signifier d’affirmer la littérature comme une matière vive par ailleurs « inscrite à l’intersection des champs de la création »4 ? Quels bougés poétiques, formels et interartistiques se réalisent- ils au sein de ce secteur spécifique du champ littéraire contemporain, où les œuvres sont mues par une processualité compositionnelle et peuvent parfois être comparées à des corps multidimensionnels ? Quelles « expressivités matérielles »5 et dynamiques mutationnelles y sont-elles mises en jeu ? Autant de questions qu’on s’appliquera à déplier collectivement.
Programme
[9h-10h45] Des gestes poïétiques aux frontières
« Une littérature qui explore les possibles. Introduction » (C. Lahouste, ULaval)
Sophie Marcotte (Concordia) et Bertrand Gervais (UQAM) : « Le numérique comme dispositif et thème de création dans Poiesis de Karoline Georges »
Benjamin Arteau-Leclerc (ULaval) : « La littérature comme expérience esthétique : l’écriture collaborative avec une intelligence artificielle sur AI Dungeon »
[Pause café]
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[11h15-12h30] Décloisonnements médiatiques et multimodalité combinatoire
William Pépin (ULaval) : « La multimodalité du feuilleton-postal Le Chrysanthème : la littérature au croisement du jeu d’évasion sur table et de l’enquête archivistique »
Céline Huyghebaert (écrivaine-artiste et chercheuse indépendante) : « Sortir du livre en le multipliant »
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[14h-15h40] L’écrivain·e au XXIe s., entre datafictions et hybridité autoreprésentationnelle
Simona Emilia Pruteanu (Université Wilfrid Laurier) : « Instagram – les nouvelles archives périphériques de l’écrivain ? »
Carmen Cristea (Collège Dawson) : « Algorithmes de vie et re-con-figurations du domaine de l’autobiographie dans Databiographie de Charly Delwart »
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L'ensemble du programme du colloque de l'APFUCC peut être consulté ici.