Cette conférence de Licia Sorez de Souza est donnée dans le cadre du groupe de recherche en sémiologie SEM921X Toucher une image, dirigé par Bertrand Gervais et Sylvano Santini.
Le réalisateur Glauber Rocha, le promoteur dans les années 1960 du cinéma Novo brésilien, est, selon Deleuze (1985), l'exemple le plus important du cinéma politique moderne. Le Cinéma Novo a été connu comme Esthétique de la faim et de la violence. Il a mis en scène des groupes d'opprimés dans l'arrière-pays semi-aride nommé sertão, qui dans une sorte de révolution tourbillonaire remet en question non seulement le capitalisme outrancier des gros propriétaires de terres, mais aussi leurs propres mécanismes de résistance comme le fanatisme réligieux, les luttes fratricides et la dispersion confuse des leaders dans l'immensité irrepérable du sertão.
Dans les années 1990, l'art et le téléjournalisme brésiliens se sont tournés vers la représentation des bandits hors-la- loi des favelas, comme des protagonistes essentiels de l'époque post-ditacture ( à partir de 1985). Trafic de drogues, crime et pauvrété forment un ensemble sémantique ponctuant toujours plus les discours et récits audiovisuels, et déterminant une sorte de modèle où les périphéries surgissent comme le paysage idéal pour quelques refléxions sur l'organisation socio-politique contemporaine.
Après Cidade de Deus/Cité de Dieu (2002), un film traduit du livre homonyme, vu et discuté partout au monde, ce réalisme féroce ( Cândido, 1989) et post-métaphysique (Souza, 2013) a donné origine à de nombreux autres récits dans lesquels des espaces socialement dévalorisés ont gagné une grande visibilité dans les grands et petits écrans. Plusieurs observateurs de la réception des images ont provoqué des débats sur la légitimité de cette tendance réaliste, en la classant de "cosmétique de la violence", en analogie avec la terminologie de Rocha. Tenir compte du terme "cosmétique" signifie, pour une partie de la critique, que ces nouveaux récits filmiques utilisent les formes accélérées du vidéo-clip, de la télévision et de l'internet, causant chez les récepteurs une élévation du niveau d'adrenaline qui excite au lieu de faire refléchir sur les causes de la misère des périphéries. L'on peut donc déjà percevoir les lignes de force d'une question pour le moins complexe impliquant la composition iconique de récits qui ont nécessairement affaire à l'usage de la force et aux combats entre les gangs de bandits, comme des citoyens exclus d'une société d'inégalités accrues, et la police.
En 2008, le film Troupe d'elite, a gagné l'ours d'or du Festival de Berlin. Ce film qui montre la préparation d'un bataillon de police anti-émeute avec la mission de "pacifier" une favela dangereuse avant l'arrivée du pape Jean-Paul II, a connu un franc succès. Un deuxième a été réalisé Troupe d'élite II, l'ennemi intérieur (2010), ce qui nous mène à refléchir que, même avec le rythme plus accéléré, ces films peuvent refléter quelque chose de l'Esthétique de la violence; ils ne sont pas seulement de la "cosmétique". Là encore, la pensée de Glauber Rocha dit parfaitement le désordre des images de la violence du prolétariat désoeuvré qui excèdent toute mesure et toute finalité pour montrer la construction d'un autre ordre social, foulant au pied les valeurs mêmes de la lutte politique, broyant dans leur tourbillon toutes les différences et les hiérarchies sur lesquelles prend appui cette lutte, capitulant devant un appareil policier inhumain, et mettant en danger de mort des gens innocents.