Le Séminaire sur La lettre volée et Lituraterre marquent deux moments distincts dans l’enseignement de Lacan. Le premier, dédié à la lecture d’un texte célèbre d’Edgar Allan Poe, remonte à 1955, donc au début de son enseignement ; Lacan, en 1966, décide néanmoins de placer le Séminaire sur La lettre volée en tête des Écrits. Par là, il invitait le lecteur à reconnaître le statut particulier de ce texte, et conséquemment le statut de la lettre en tant que son trajet et sa destination nous éclaire sur l’efficacité symbolique du signifiant. Le second moment, Lituraterre, nous renvoie à un texte de Lacan, publié en 1971, dans la revue Littérature. Il s’agissait alors de distinguer la lettre du signifiant, en reconnaissant la matérialité de la lettre dont le trait — qui est aussi une coupure et une différence — relève moins de l’efficacité symbolique que de ce qui reste du fait que la lettre précède l’inscription du signifiant. « [D]’une lettre (je traduis) à une ordure », écrit Lacan. Le second moment n’invalide pas le premier mais, entre 1955 et 1971, le statut de la lettre lacanienne change et se déplace. Si la distinction entre la lettre et le signifant a eu des conséquences essentielles pour la clinique autant que pour la pensée de Lacan — s’il y a des exigences liées à tout un effort d’élaboration théorique, que l’on peut reconstruire —, il appert que la littérature ne cesse d’interroger Lacan d’un bout à l’autre. D’un côté, la littérature permet de rendre compte de la préséance du symbolique sur l’imaginaire ; de l’autre, la littérature — entendons avec Lacan : « lis-tes-ratures » — permet de rendre compte de la préséance du réel sur le symbolique.
Le titre de cet atelier — "Lire avec Lacan" — ne vise pas une application de la psychanalyse à la littérature — il ne s’agit pas de se demander "comment appliquer Lacan à la littérature?" — ; mais bien de poser la question : qu'est-ce que lire dès lors qu'il s'agit pour nous de prendre en compte le sens qui est donné à la lettre dans l’enseignement de Lacan? La question, telle qu’elle est posée, nous indique qu’il ne s’agit pas d’une question de méthode destinée à l'analyse des textes ; mais qu’il s’agit plutôt de produire une distinction et une différenciation — une manière de découper un savoir sur le texte — entre le signifiant et la lettre.
Intervenants :
Hervé Castanet
Anne Élaine Cliche
Véronique Cnockaert
Alexis Lussier
Vous êtes invités à poursuivre le débat à la Librairie Le Port de tête de 19h à 21h et assister à la discussion avec Hervé Castanet et Alexis Lussier: «Lire Pierre Klossowski : le couple Roberte et Octave ou comment échanger l’inéchangeable».