Organisé par Caroline Proulx, Sylvano Santini et Bertrand Gervais dans le cadre de Figura, Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, UQAM, qui se tiendra à Montréal les 6, 7 et 8 septembre 2012.
Appel à communications
Le nom de Marguerite Duras dans le champ littéraire n’est plus à faire. Depuis une trentaine d’années, les études sur son oeuvre se sont multipliées, notamment depuis son décès en 1996.
Auteur, elle est aussi connue pour avoir expérimenté de nouvelles voies du côté du cinéma,
bouleversé les codes de la représentation à l’écran. Il n’y a qu’à regarder le traveling du Navire night où les images défilant n’ont rien à voir avec ce que la voix off raconte, ou encore l’écran noir du début de L’homme atlantique, pour comprendre que sa vision du cinéma se distingue radicalement de la conception traditionnelle du 7e art. Dans Les yeux verts, numéro dans les Cahiers du cinéma, elle reconnaissait elle-même la difficulté de la réception de ses films : « J’ai des amis intimes qui ne vont pas voir mon cinéma, ils vont voir le cinéma des autres. Ils lisent tous mes livres mais ils ne vont pas voir tous mes films. Les raisons de faire du cinéma pour moi ils ne les aperçoivent pas, ils disent que ce n’est pas la peine. »
Dans leur singularité, ses films dérangent. Ils remettent en question la notion même de l’image et la place du texte à un tel point qu’ils donnent souvent l’impression au spectateur qu’il n’y a à proprement parler rien à voir. Pourtant, il y a bien quelque chose à voir dans les films de Duras et si la correspondance entre son cinéma et son oeuvre textuelle (théâtre, courts récits et romans confondus) a déjà été relevée, elle reste pour nous entièrement problématique et riche en suggestion. Il faut alors tout replacer sur le plan d’une vision, d’un désir qui déborde le champ d’un art spécifique pour questionner le voir lui-même et la possibilité de la représentation quelle qu’elle soit pour lire l’oeuvre de Duras dans sa continuité, et ce, même si bien des propos de l’écrivaine-cinéaste n’ont cessé de mettre en opposition la littérature et le cinéma.
On aura compris que l’invitation à participer à ce colloque est rattachée à la volonté de relancer l’interrogation, d’abord à propos du cinéma de Marguerite Duras (moins discuté et analysé que ses textes littéraires), de la disjonction entre le dire et le voir chez une écrivain qui se plaisait, comme jadis le prônaient les lettristes, à dissocier la bande sonore de la bande vidéo. Son oeuvre littéraire et cinématographique met en scène une lutte entre deux sortes d’images qui pourraient sembler incompatibles, l’une générée par le texte, l’autre par le film. L’expérience filmique de Duras aura-t-elle consisté à mettre en scène cette lutte ? Qui sait alors si l’insatisfaction récurrente qui la gagnait face à l’adaptation de l’un de ses romans découlait de l’incapacité du cinéaste à rendre cette lutte à l’écran ? On se méprendrait sans doute si l’on croyait que le vainqueur était connu depuis le commencement chez elle, car si elle affirme que « le texte est porteur illimité d’images », elle n’a assurément pas tourné des images cinématographiques en pure perte. Il ne faut alors pas ignorer, dans la disjonction du dire et du voir, du roman et du cinéma, sa volonté de problématiser, comme plusieurs nouveaux écrivains et cinéastes de son époque, la question plus large de la représentation, ce qui peut donner lieu à des études comparatives de l’oeuvre de Duras avec celle d’autres cinéastes. Aussi, ne pouvant pas être cinématographiques, les images engendrées par les textes durassiens suscitent alors des questions sur leur nature qui seront inévitablement abordées dans ce colloque. Quel type d’images produisent ses textes, narratifs, mais aussi dramatiques, autre médium de représentation qui convoque le voir ? Et comment créent-ils des images ? Peut-on imaginer leur lieu de production ? Doit-on parler d’écran mental sur lequel apparaissent des impressions figurales ? Ou bien s’agit-il de tout autre chose ? Et qu’en est-il des images cinématographiques tournées par Duras elle-même ? Quelle est leur fonction dans l’espace littéraire durassien ? Sont-elles simplement un faire-valoir de ses textes ? Ou veulent-elles plutôt signifier l’impossibilité de rendre en images cinématographiques ce qui est déjà une image textuelle ? Et la bande sonore, si autonome et si lointaine, souverainement littéraire, produit sans aucun doute des effets sur les images et, par retentissement, sur son oeuvre littéraire elle-même. Il ne faudrait pas manquer alors d’interroger cette étrange matérialisation de l’espace littéraire au cinéma.
Complexes et foisonnantes, ces questions sont à l’image de ce que voudrait être ce colloque qui invite à sortir certaines de ses oeuvres de l’oubli. Aussi dévolu soit-il à Duras, ce colloque engagera aussi notre imaginaire contemporain. En effet, si l’on croyait au moment où elle a réalisé ses films pouvoir ramener à peu près tout à la notion de « texte », même le cinéma, cela ne va plus de soi depuis le tournant iconique des années 1990 (Hans Belting, W.J.T. Mitchell, George Didi-Hiberman, Jacques Rancière, etc.). Dans la perspective où notre rapport à l’image et au texte semble s’être inversé depuis la production cinématographique de Duras, il nous apparaît opportun aujourd’hui de reprendre à zéro l’examen du rapport entre son cinéma et son oeuvre textuelle.
Caroline Proulx et Sylvano Santini
Figura, Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire (UQAM)
Comité scientifique :
Bertrand Gervais (Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec)
Cécile Hanania (Western Washington University, Bellingham, États-Unis)
Christophe Meurée (FNRS/Université Catholique de Louvain, Belgique)
Caroline Proulx (Collège Ahuntsic et Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec)
Michelle Royer (University of Sydney, Australie)
Sylvano Santini (Collège Édouard-Montpetit et Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec)
Toutes les propositions doivent être envoyées avant le 28 février 2012 à :
caroline.proulx@collegeahuntsic.qc.ca et à sylvano.santini@college-em.qc.ca