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Hommes de paille, récits de paille

Hommes de paille, récits de paille. Une approche de la dissimulation dans la littérature narrative du XXIe siècle

Du surréalisme jusqu’aux récits indécidables de l’extrême contemporain, une relation d’une rare complexité s’est nouée entre la littérature et l’épineuse question de la vérité, du faux et de leur figuration. Il en est résulté notamment un glissement progressif du réel vers son travestissement – ou le simulacre – nourri d’un scepticisme par rapport aux systèmes d’explication reposant sur l’idée de l’unicité du Vrai et de la Raison. Ce tournant relativiste est à l’origine d’un ensemble de phénomènes mobilisés par la littérature narrative, qui peuvent se résumer par l’idée d’une méfiance du texte à l’égard de lui-même, substituant au réalisme du roman classique de nouvelles formes littéraires qui ébranlent le contrat de la représentation du monde et de ses acteurs. Cette littérature fait effondrer la mimesis dans l’« hétéronomie héraclitéenne » (François Rastier) et éclater les instances narratives en une polyphonie qui trouble les frontières du sujet; elle se joue dans l’espace incertain entre présence et absence, insistant sur l’imposture de sa propre signification et la facticité, voire la vacuité de ses positions de parole.

Il semblerait, en ce sens, qu’une des particularités d’une pratique romanesque qui a traversé le siècle consiste en la multiplication d’hommes de paille et, osons-nous ajouter, de « récits de paille », afin de se prémunir contre toute éventualité fâcheuse entraînée par l’entreprise, devenue plus ou moins honnête, de raconter. Il paraît urgent de réfléchir sur les transformations ou les continuités de ces pratiques narratives qui s’offrent comme des « mensonges délivrés de celui d’être vrai », pour reprendre ici l’aporétique formule adornienne. Le double concept d’homme de paille et récit de paille constitue à ce propos un spectre inédit à travers lequel il est possible d’appréhender les mécanismes de cette littérature narrative et de son esthétique romanesque. Ainsi, nous désirons, dans le cadre de ce colloque, réfléchir à l’apport potentiel de ce double concept et nous proposons à cet effet les pistes suivantes.

Récits de paille :

  1. Analyse des phénomènes de cryptographie et d’hermétisme qui problématisent l’appréhension du monde fictionnel. On peut penser notamment aux récits où il y a rupture ou brouillage dialectique entre l’univers fictionnel et référentiel; les oeuvres où le chiffrement agit en tant que stratégie narrative visant paradoxalement à la description du monde; et les écritures jouant sur la mise en scène du faux et du vrai, c’est-à-dire qui rendent changeantes les combinaisons de l’être, du paraître et de leurs négations.
  2. Étude des récits qui déconstruisent la logique de la mimésis par celle de l’empreinte ou encore celle de la trace, donc qui se fondent non pas sur un modèle à copier, mais sur des ressemblances dissemblables, négatives, partielles ou fragmentaires et qui mettent de l’avant des mécanismes de dépendance qui font toucher à la présence de l’absence ou qui donnent l’invisible à voir.
  3. On peut également envisager d’explorer l’architecture et l’architectonique du caché. Certaines oeuvres font reposer des parties de leur univers fictionnel sur un lieu utilisé en tant que principe d’organisation de l’opacification ou comme dispositif de structuration du caché. En d’autres mots, certains espaces se déploient comme des modalités de chiffrement, occultent plus que présentent, soustraient plus qu’additionnent ou opèrent sur la négativité de la présence. À titre d’exemples, la crypte, le mémorial et la prison peuvent apparaître comme des artifices où se joue le théâtre de la dissimulation ou celui de la présentification de l’absence.

Hommes de paille :

  1. Analyses des procédés littéraires hétéronymiques ou de l’anonymat, c’est-à-dire de toute entreprise de dissimulation, de fragmentation ou de démultiplication de l’identité subjective de l’auteur, du narrateur ou du personnage. Création ad hoc d’identités syncrétiques et éphémères, la pratique hétéronymique témoigne d’un déplacement dans les modalités d’articulation du réel et du virtuel en ouvrant un lieu infini de l’être où l’essence du sujet est constamment différée, projetée en dehors d’elle-même dans une logique du pouvoir-être. Elle problématise l’éthique narrative en déconstruisant la responsabilité de la parole et de l’énonciation, et ouvre sur un espace politique inédit en brouillant les frontières entre l’individu et sa communauté, en disséminant la parole dans l’anonymat des masses.
  2. L’expression « homme de paille » est également utilisée en rhétorique pour désigner une stratégie argumentative qui consiste à tirer avantage de son adversaire en présentant sa position de façon volontairement erronée et facilement réfutable. Certaines oeuvres littéraires s’emparent de cette technique afin d’engendrer une altérité « sur mesure » contre laquelle mesurer, construire ou légitimer sa propre identité. L’on pourrait interroger, à ce titre, toute oeuvre de fiction dont l’univers référentiel, les valeurs véhiculées, les jugements et les critiques posés s’alimentent à la facticité de l’Autre, se constituent en fonction d’un non-être, d’une figure vide construite de toute pièce.
  3. Quelle que soit son acception, l’expression homme de paille est invariablement synonyme d’homme de peu de valeur. Plus précisément, l’homme de paille n’a de valeur que dans la mesure où il tient lieu d’autre chose qu’il s’efforce de dissimuler. S’impose alors un questionnement sur le rapport hiérarchique entre le caché et l’apparent, sur la fonction médiatrice des artifices et des procédés de dissimulation et, ultimement, sur l’inversion du rapport entre le réel et l’artificiel, c’est-àdire l’investissement du vrai dans et par le faux ou le factice.

Nous invitons les chercheurs à soumettre des projets de communication d’environ 300 mots portant sur l’une des pistes formulées ci-haut. Les propositions, à adresser à Simon Saint-Onge (simon.saintonge@gmail.com) et à Shawn Duriez (shawn.duriez@mail.mcgill.ca), doivent être accompagnées des informations suivantes : nom et prénom, titre de la communication, université d’attache et adresse électronique, ainsi que d’une courte notice biobibliographique. Le tout devra parvenir aux organisateurs au plus tard le 15 août 2009.

Cet événement, organisé dans le cadre des activités du Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, du Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill et du Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire Figura, aura lieu à Montréal, les 7 et 8 mai 2010.

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