Appel de texte
Aussi combien s’en tiennent là qui n’extraient rien de leur impression, vieillissent inutiles et insatisfaits, comme des célibataires de l’art!
— Marcel Proust, Le Temps retrouvé
Ce douzième numéro de la Revue d’études proustiennes souhaite éclairer une expression-clé du Temps retrouvé, celle, placée ici en exergue, des «célibataires de l’art». Moins commentée que l’image qui la précède, où le narrateur compare la tâche de l’écrivain à celle d’un traducteur, cette métaphore souligne aussi a contrario la difficulté d’«être» de l’artiste proustien. Là où l’enivrement du créateur devant une sensation porteuse de vérité cède aussitôt sa place au dur labeur d’approfondissement qui lui succède, les célibataires de l’art laissent libre cours à leur exaltation superficielle devant l’objet d’art qui, comme le note le narrateur, «empourpre leur visage». Cette dialectique se retrouve partout dans À la recherche du temps perdu: l’acte de création authentique est invisible, alors que toute forme d’amour factice multiplie naturellement les signes ostentatoires. En ce sens, Sainte-Beuve, tel que décrit par Proust, serait le plus grand célibataire de l’art.
Mais faut-il réellement tracer une ligne si distincte entre les deux approches? La pensée proustienne de la création est-elle à ce point teintée de manichéisme et d’intransigeance? Est-il absolument nécessaire de bâtir une cathédrale ou d’écrire un chef-d’œuvre pour s’inscrire dans la sphère esthétique? L’amateur, le collectionneur, le journaliste, le mondain, le demi-habile et le snob ne sont-ils pas au contraire des dispositifs essentiels de la machine romanesque de Proust, peut-être plus encore que les artistes de génie? Non seulement incarnent-ils aussi de puissants vecteurs comiques, mais, en fin de compte, c’est d’abord par eux que l’art existe, circule et se transforme dans la Recherche. Les célibataires de l’art sont également une des principales figures de la correspondance, où les enjeux reliés à la création sont rarement abordés de front, mais toujours par de tels détours comiques et complexes. Enfin, dans une époque où les frontières de la création sont de plus en plus étudiées et théorisées, il est peut-être temps de reconnaître que la philosophie proustienne de la création n’est pas seulement à trouver dans quelques modèles privilégiés, mais qu’elle se ventile à travers autant de formes «mineures» d’auctorialité et de désir esthétique.
Nous attendons ainsi des articles qui s’intéressent aux définitions, aux rôles et à l’actualité de la notion de «célibataires de l’art». Sans restriction et sans exclusivité, les propositions pourront entre autres développer l’un ou l’autre des sujets suivants:
• Les principales figures romanesques des célibataires de l’art: collectionneurs, dandys, journalistes
• L’analyse des enjeux sociologiques et symboliques soulevés par les célibataires de l’art
• Les préoccupations auctoriales dans la correspondance
• Proust journaliste et critique d’art
• Mémoire et caricature de l’idéal romantique
• L’auteur à l’ère médiatique
• L’auteur comme personnage mondain
• Les auteurs sans œuvre
• Les outils mondains de l’autorité artistique: potin, anecdote, cousinage, mot d’esprit
• Les personnages mécènes
• Proust et la recherche-création
Accompagnées d’une courte bibliographie ainsi que d’une notice biobibliographique (150 mots), les propositions d’articles, d’environ 500 mots, devront être envoyées à Thomas Carrier-Lafleur (thomascarrierlafleur@gmail.com) et Mélodie Simard-Houde (melodie.houde@gmail.com) avant le 1er mars 2019. Les articles seront à remettre avant le 1er décembre 2019.
Consutlez l'appel complet en pièce jointe.
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