Cette thèse de doctorat porte sur la production littéraire de l’écrivain franco-mauricien J.M.G. Le Clézio au tournant de la décennie 1970. Elle vise à définir une politique de la littérature spécifique au corpus leclézien 1970-1974. Interrogeant la dimension axiologique de l’activité de l’écrivain à cette époque, nous nous intéressons particulièrement au rôle que joue celui-ci dans la formation d’un interprétant politique capable de diriger la réception de son œuvre. Notre travail s’attarde donc à mettre en relation le discours de l’œuvre et le discours de l’écrivain sur son œuvre, sur la littérature en général et sur la fonction sociale qu’il entrevoit pour cette dernière en particulier. Trois chapitres nous permettent de rendre compte de notre travail. Dans le premier chapitre, nous déployons notre cadre théorique et discutons de ses implications méthodologiques. Nous tentons de fonder sémiotiquement l’approche des politiques de la littérature. Dans le deuxième chapitre, nous amorçons notre enquête sur la période en examinant minutieusement la documentation disponible, qui nous renseigne sur la trajectoire de l’écrivain et l’intentionnalité poétique de ce dernier. Nous nous attachons à expliquer les transformations manifestes dans l’œuvre au prisme de ces deux facteurs. Enfin, dans le troisième chapitre, nous produisons des analyses détaillées des textes majeurs de la période (La guerre, Haï, Les Géants, Mydriase), et portons également notre regard sur ceux qui suivent (Voyages de l’autre côté, L’inconnu sur la terre, Vers les icebergs) afin de mieux apprécier les répercussions des changements originaires de la période étudiée. Ce travail nous permet de suivre l’évolution de la poétique leclézienne à travers la décennie 1970 et de déterminer un interprétant politique pour celle-ci. Entre 1970 et 1974, Le Clézio séjourne longuement au Panamá auprès d’autochtones emberá formant une société sans État. En 1971, il est initié rituellement par un sorcier local aux effets psychotropes de la plante sacrée datura. Cette expérience marque une rupture profonde dans son œuvre. Nous nous attachons à retracer la séquence des événements de cette période sur les plans biographique et littéraire, et suggérons de comprendre les transformations qui surviennent alors au prisme d’un processus d’autonomisation du sujet-écrivain. Cette autonomisation se vérifie dans une altération profonde de la poétique leclézienne, de même que du discours de l’écrivain sur la compétence et la valeur morale de la littérature. Nous nous intéressons particulièrement à la figure de la guerre, par laquelle l’écrivain témoigne de sa vision agonistique de l’existence sociale et dénonce l’aliénation politique qu’impose le régime étatique capitaliste. Pour reproduire par l’écriture les déplacements productifs de la drogue et de l’altérité radicale vécue au cœur des forêts du Darién, Le Clézio développe une poétique du dessillement, dont la visée performative est de transformer notre regard sur le monde. Consciemment médiatrice, son écriture veut mettre en lumière le rapport que nous entretenons aux signes environnants, à notre environnement et à l’imaginaire. Résolu dans son intention d’agir par l’écriture, Le Clézio veut conscientiser ses contemporains occidentaux à l’égard des idéologies qui les régissent sourdement (foi aveugle dans le progrès technique, consumérisme). La trajectoire que notre enquête s’est attachée à retracer montre un écrivain obstiné dans sa recherche de forme dans l’écriture, qui est la quête d’une éthique dans le langage. Militant par son art pour le recouvrement d’une liberté naturelle perdue, c’est un véritable saut que l’écrivain promeut : un saut paradoxal hors du régime symbolique pour atteindre une vérité dans le langage. En définitive, notre enquête nous permet d’affirmer que la politique leclézienne de la littérature de la décennie 1970 est une politique de l’extase.