Hiver 2020
Département d'études littéraires (doctorat en sémiologie) - UQAM
Il est fréquent de retrouver dans les études en sémiologie un même ensemble d’extraits de textes canoniques issus aussi bien de l’Antiquité que du Moyen Âge, de l’époque classique ou des Lumières. Ces références qui servent à définir, dans la plupart des cas, le concept de signe ou l’action de la sémiose illustrent assez bien ce que John Deely affirme de l’histoire du signe: elle commence avant même que la philosophie devienne philosophie, c’est-à-dire aussitôt que la pensée s’est mise à interroger ses rapports à la nature et à la réalité. Si cette affirmation servait de guide au contenu de ce séminaire, il ne faudrait pas hésiter à l’engager dans l’histoire de la pensée tout court, ce que Deely n’hésite pas à faire dans son ouvrage. Pour des raisons évidentes, nous n’en ferons pas l’objectif du séminaire. Cette affirmation nous permet toutefois de souligner le contraste entre la vaste histoire de la sémiologie et l’ensemble d’extraits canoniques qui représente le corpus restreint de la conscience historique des études en sémiologie. Ce contraste illustre donc la frontière parfois très étanche entre un passé immensément riche et un présent qui semble se limiter à ressasser des références connues et à citer les mêmes extraits sans autre forme de procès ou de réflexion critique. Si notre rapport à l’histoire de la sémiologie se réduit à puiser dans ce réservoir limité de citations comme il est très souvent le cas, cette dernière peut nous apparaître alors comme une collection de propositions et de définitions, une constellation d’idées arrangée pour les besoins de la cause. Ce montage n’empêche pas parfois l’impression bien réelle que ces extraits sont décousus et surtout décontextualisés. Le séminaire veut abolir cette frontière entre le passé et le présent, non pas pour rendre à César ce qui appartient à César ou pour s’épancher devant la richesse de l’histoire, mais, plus conséquemment, pour remettre en contexte ces extraits canoniques en lisant les textes de première main. Cet objectif qui apparaît déjà bien louable —il répond en effet au sentiment de manque et d’insatisfaction que l’on peut ressentir devant un passé évanescent et insaisissable— ne vise pas à combler un simple désir d’érudition, il est plutôt une invitation à voyager dans le temps pour saisir le sens de notre rapport actif avec le passé. Le séminaire envisagera donc l’histoire de la sémiologie sous la forme d’une interrogation non pas de nature historiographique mais mémorielle et subjective: comment le passé nourrit-il activement la pensée sémiologique contemporaine?
Cet objectif peut apparaître ambitieux et irréalisable si l’on ne comprend pas qu’il invite plus modestement à rechercher les conditions de notre rapport contemporain à l’histoire de la sémiologie. Les étudiant.e.s seront d’ailleurs invité.es à réfléchir, à partir de lectures de première main faisant partie d’un corpus nécessairement restreint établi en fonction d’une périodisation historique connue (sémiologies ancienne, classique et moderne), à ce qui justifie en tous sens ce recours à l’histoire. C’est ce recours que nous interrogerons dans ce séminaire à l’aune de certains concepts fondamentaux de la sémiologie (signe, signification, communication, représentation, interprétation, etc.) et à partir d’un ensemble de questions communes de nature à la fois très générale et particulière. Quelle attitude doit prévaloir lorsqu’on a recours au passé? Qu’est-ce qui motive le détour par l’histoire de la pensée sémiologique? Quelles questions doit-on poser pour classer et ordonner le vaste corpus lié à l’évolution et au développement de la conscience sémiologique? En quel sens parle-t-on de la contemporanéité sémiologique des idées, des notions, des concepts hérités du passé? Bien évidemment, toutes ces questions n’en forment qu’une seule: pourquoi et comment faire l’histoire de la sémiologie, à quel besoin répond-elle finalement?