Atelier nomade organisé par Hélène Guy dans le cadre de La Traversée - Atelier québécois de géopoétique.
Refuge, mot géopoétique
Ma conviction, c'est qu'on ne peut souscrire à une approche géopoétique sans porter une attention particulière, voire sans reconsidérer le sens et la valeur des mots employés au quotidien pour dire son rapport au monde. Je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire d'inventer de nouveaux mots pour cela, juste repenser ceux que nous portons peut nous mener à des rapports inédits à la terre. Je rappelle ici l'étymologie de géopoétique - mot-valise prédisposant à l'errance dans le réel et dans le sens: géo : du grec gê, terre; et poétique : poème, poiêma, poiein, « faire », « fabriquer, produire, créer ». Créer une nouvelle terre. Un nouveau rapport à la terre.
Le mot refuge, dit Le dictionnaire historique de la langue française de Robert, est emprunté au latin refugium, « action de se retrancher », et par métonymie, « s'enfuir », « chercher asile ». Dans une perspective géopoétique, cependant, le mot refuge ne peut signifier que cela, qui engage à bien davantage qu'à la dérobade et à bien autre chose qu'à la fuite.
Le refuge est d'abord un abri. Le même dictionnaire ajoute d'ailleurs ceci au verbe se réfugier: «s'évader vers un monde où l'on se sent à l'abri». Abri, donc, lieu couvert qui protège des intempéries, disent depuis toujours les gens de bois et de montagne, et les voyageurs. Et depuis le XIIIe siècle, lieu de protection morale. En quelque sorte, lieu d'accueil où s'abriter, où s'abrier disons-nous encore au Québec - alors que la France presque entière a perdu l'usage de ce beau verbe. Où se mettre à l'écart de l'agitation du monde, car le mot refuge connote l'isolement, voire la retraite: Le refuge, donc, comme lieu où l'on se retire, « lieu où l'on veut être seul ». Seul avec soi-même ou avec quelques semblables. Soit définitivement seul, comme chez les anachorètes et autres partisans de la vie érémitique; soit temporairement seul, comme pour la plupart d'entre nous, qui avons périodiquement besoin de nous retirer dans un monde utérin reconstitué pour nous ressourcer, pour renouer avec nos valeurs, nos vrais besoins, avec ce que nous estimons et désirons; pour renouer avec nos plus intimes convictions, qui souvent, dans le frottement au monde, sont masquées, raturées, et qui ne demandent qu'à sourdre du palimpseste des usages dévoyés. Le refuge contribue donc à ce que «le passe-muraille», contrairement à ce qui arrive au personnage de la nouvelle de Marcel Aymé, ne reste pas figé dans le mur. Le refuge est une zone dynamique, qui se manifeste comme lieu de passage où aller en solitaire tutoyer la terre - ses pierres, ses écorces, ses sentiers... Lieu de passage, dis-je: de passare - traverser!
Le refuge comme traversée.
André Carpentier