La pensée écologique et l’espace littéraire
17 mai 2013 – Université Concordia, Montréal
Appel à communications
« [La pensée écologique] c’est le dégel d’une pensée assommée et le réveil de sensations anesthésiées, c’est la conversion des consciences à un mode familier auquel on ne faisait plus attention, qu’on ne voyait plus à force de l’habitude. Ce doit être un mouvement poético-politique […] parce que ceux qui ne peuvent plus rêver le monde, ne savent pas non plus le changer. » (Moscovici)
L’écologie est un thème clé de la pensée actuelle. Bien que la pensée en lien avec ce domaine s’éveille dès l’Antiquité, c’est Montaigne qui semble le mieux en exprimer la teneur à travers son discours sur la nature. La « mesme nature », principe unificateur des choses les plus disparates, entre tout ce qui est humain et non-humain, s’estompe toutefois quelques décennies après la mort de l’essayiste. En se séparant de l’homme, la nature n’offre plus un savoir tiré de l’observation des animaux et des plantes en lien direct avec les mœurs ou la morale. Les efforts de Spinoza pour s’opposer à cette séparation, sa plaidoirie pour la compréhension du comportement humain comme phénomène réglé par le déterminisme universel, sont vains. La nature s’affranchit, devient domaine ontologique autonome, objet à exploiter, champ d’enquête et d’expérience qui intéresse notamment la pensée scientifique dont nous demeurons, en ce début du XXIe siècle, tributaires (Descola). Ainsi, elle se fait Nature et entre dans une relation particulièrement complexe avec la Culture, relation dont la pensée écologique se fait le fin psychologue.
Quelle est la signification de la pensée écologique aujourd’hui ? Comme toute pensée, la pensée écologique ne peut pas s’exprimer d’elle-même, elle a besoin d’un langage et surtout d’une représentation. Pour l’entendre, nous lui prêtons l’espace littéraire, afin qu’elle s’y manifeste, qu’elle le traverse et qu’elle le dépasse. Pourquoi l’espace littéraire ? Car l’intuition sensible demeure l’un des modes de connaissance les plus en mesure d’abolir la distance entre sujet et objet. Depuis l’espace littéraire, la pensée écologique nous regarde bien plus directement, elle nous interpelle différemment à l’aide d’outils qui lui permettent de se faire plus rapidement présence dans notre esprit. Également, dans l’espace littéraire, les contraintes, les valeurs qui semblent impossibles à partager se réunissent et se réconcilient plus facilement (Suberchicot), ouvrant ainsi la voie à d’autres horizons que le terrain scientifique ne saurait couvrir.
Une telle approche comporte un certain nombre de précédents. Les théories anglo-américaines de l’ecocriticism, des green studies ou de l’environemental imagination tentent de définir une écopoétique. En s’appuyant sur le concept de l’ecological work (Bate), des chercheurs français ont analysé l’écriture littéraire comme travail écologique, notamment pour réinscrire la nature dans le texte littéraire (Blanc, Pughe et Chartier). Dans son tout dernier ouvrage, Alain Suberchicot plaide pour une écocritique comparée où des expériences littéraires américaines, françaises et chinoises se rencontreraient. Ces contributions prouvent que l’accès à la pensée écologique demeure de moins en moins le monopole d’un savoir scientifique. À présent, des collaborations inédites se créent pour puiser dans l’art de nouvelles perspectives et de nouvelles façons d'interpréter le monde. On cherche même à alimenter une pratique de gestion créative et durable dans le milieu de l’entreprise à partir du savoir des arts (Shrivastava). Les sciences humaines se voient donc davantage investies par la compréhension de la pensée écologique.
Nous aimerions porter notre contribution à l’élaboration de cette pensée depuis l’espace littéraire en privilégiant deux interrogations clés :
1) De quelle façon la pensée écologique restitue-t-elle l’une des caractéristiques essentielles qui la définissent, soit la relation au milieu (Haeckel définit l’écologie comme relation des vivants et de leur milieu) ?
2) Comment la pensée écologique oblige-t-elle le littéraire à passer d’un ordre de savoir circonscrit et discipliné, dit de petite échelle, à un ordre élargi, multidisciplinaire, de grande échelle ?
L’interaction de l’espace littéraire et de la pensée écologique ne se fait pas sous le signe de l’enfermement, de l’emprisonnement, mais de l’ouverture, de la libération. À l’ordinaire, c’est la controverse et non l’accord qui paie le prix de cette libération, de cette traversée disciplinaire, à cause de l’ébranlement causé à la discipline (Duclos). Dans notre cas, nous plaidons pour la souplesse (Bateson) comme modèle d’interaction entre la pensée écologique et l’espace littéraire. Dans ces conditions, nous envisageons deux axes d’analyse : celui de la production et celui de la réception.
Du côté de la production, nous souhaitons aborder la pensée écologique comme réalité consciente, mais aussi inconsciente de la création. De nombreux auteurs (de fiction, d’essai, voire de critique) écrivent sans se rendre compte de l’influence de l’écologie sur leur pensée et sur leur texte. De la sorte, il serait intéressant de déceler la place et la relation de l’écrivain dans/avec la nature, ainsi que les références dont il se sert pour élaborer une pensée écologique (par exemple, l’animal est un modèle pour les philosophes Agamben ou Onfray). Il y a-t-il d’autres exemples qui inscrivent l’homme dans l’environnement d’aujourd’hui, environnement qui est majoritairement technologique ?
Du côté de la réception, nous comprenons que la pensée écologique, lorsqu’elle se représente, se dédouble. Tel un acteur, elle ne coïncide jamais avec son être, elle ne se dévoile jamais en toute sa vérité (Diderot). Quelle partie tait-elle et pourquoi ? Dans la plupart des cas, une pensée se tait partiellement pour renvoyer à autre chose. Ainsi, la pensée écologique se fait intentionnalité (la capacité de signifier autre chose) et c’est sous cet angle qu’elle se donne à lire. Outre le repérage, dans le texte littéraire, d’une présence immédiate de la nature ou des objets écologiques (ville, architecture verte, campagne, nouvelles technologies…), nous aimerions comprendre à quel réarrangement conceptuel appellent ces représentations lorsqu’on les envisage à grande échelle, lorsque pour les penser, il faut s’approprier aussi le non-dit et certes dépasser l’espace littéraire pour pénétrer dans celui du social, de l’anthropologie, de la philosophie, ou de la psychologie.
D’autres pistes d’analyse se dessinent à partir de ces deux questions centrales de notre problématique. Nous en proposons une liste non exhaustive :
- la responsabilité, la perspective du danger, le besoin d’une futurologie comparative pour mesurer les conséquences de nos actes (Olivier Clain et Hans Jonas) ;
- la culture monde, la pensée écologique et l’espace littéraire ;
- le texte littéraire, la postmodernité et la métadémocratie ;
- le renversement du modèle urbain dominant, la ville ;
- le design vert : urbanisme (architecture durable) et technologie (création) ;
- le réenchantement du monde par le retour à la nature et la règle des 3R : ralentir, réfléchir, réorienter (Serge Moscovici) ;
- l’écosophie : socius, psyché et environnement (Félix Guattari) ;
- l’espace littéraire, la consommation et le contrat naturel (Michel Serres).
Ayant pour principe la traversée disciplinaire à partir de l’espace littéraire, la rencontre privilégiera le dialogue entre plusieurs intervenants issus de champs de savoir divers : littérature, philosophie, psychologie, anthropologie, langue, traduction, média et nouvelles technologies, etc.
Modalités pratiques
Les résumés des communications (environ 200 mots) devront être envoyés au plus tard le 15 février 2013 sous forme électronique aux deux adresses ci-dessous.
Les propositions contiendront les renseignements suivants :
- Auteur/Auteure(s)
- Établissement
- Fonction
- Adresse courriel
- Titre de la communication
On joindra également une courte notice biographique.
Une notification d’acceptation sera envoyée à chaque contributeur/contributrice retenu/retenue avant le 1er mars 2013.
Pour tout renseignement supplémentaire, veuillez communiquer avec Mirella Vadean mirella.vadean@concordia.ca et Sylvain David sylvain.david@concordia.ca.
Bibliographie des auteurs cités :
AGAMBEN, Giorgio. L’Ouvert : de l’homme et de l’animal. Paris : Rivages poche, 2006.
BATE, J. Romantic ecology : Wordsworth and the environmental tradition. Londres : Routledge, 1991.
BATESON, Gregory. Vers une écologie de l’esprit. Tome I et II. Paris : Seuil, 1995.
BLANC Nathalie, Thomas Pughe et Denis Chartier. Littérature & écologie : vers une écopoétique (En ligne) http://www.projetcoal.org/coal/wp-content/uploads/2012/06/Litterature-et...
DESCOLA, Philippe. Par-delà nature et culture. Paris : Gallimard, 2005.
DIDEROT, Denis. Paradoxe sur le comédien. Paris : Gallimard, 2009 (1830).
DUCLOS, Denis (sous la dir.), Pourquoi tardons-nous tant à devenir écologistes? Limites de la postmodernité et société écologique. Paris : L'Harmattan, 2006.
CLAIN, Olivier. «Éthique de la responsabilité et culture de la limite : réflexion critique sur la pensée de Hans Jonas. (En ligne) http://www.fss.ulaval.ca/cms/upload/soc/fichiers/postmodernite_et_societ...
De ROOSE, Frank et Philippe van Parijs. « Ernst Haeckel », dans La pensée écologiste. Essai d’inventaire à l’usage de ceux qui la pratiquent comme de ceux qui la craignent. Bruxelles : De Boeck Université, 1994 (1991).
GUATTARI, Félix. Les trois écologies. Paris, Galilée, 1999.
JONAS, Hans. Le principe responsabilité une éthique pour la civilisation technologique, Paris : Flammarion, 1990.
ONFRAY, Michel. La Sagesse des abeilles : Première leçon de Démocrite. Paris : Galilée, 2012.
MOSCOVICI, Serge. Réenchanter la nature. Entretiens avec Pascal Dibie. Vaucluse : Éditions de l’Aube, 2002.
SERRES, Michel. Le contrat naturel, Paris, Flammarion, 1992.
SHRIVASTAVA Paul (director of the David O’Brien Centre for Sustainable Enterprise at Concordia University’s John Molson School of Business). « The art of sustainable development. Concordia-France research collaboration appeals to emotions to heal the world » Concordia Now, 22 octobre 2012 (En ligne) http://www.concordia.ca/now/what-we-do/research/20121022/the-art-of-sust...
SUBERCHICOT, Alain. Littérature et environnement. Pour une écocritique comparée. Paris : Honoré Champion, coll. "Unichamp Essentiel", 2012.