Automne 2017
Département d'études littéraires - UQAM
Ce séminaire sera le lieu d’une réflexion sur les modalités et les enjeux de la lecture du roman pour adolescents. Nous examinerons les représentations d’adolescents que proposent différents types de romans (socioréalistes, historiques, fantastiques, augmentés ou transmédias) contemporains ainsi que la manière dont ces romans tentent de s’inscrire dans l’horizon d’attente de leurs lecteurs. Pour ce faire, notre réflexion se situera essentiellement à la croisée des travaux en littérature jeunesse, des théories de la lecture, de la narratologie et, dans une moindre mesure, de la sociologie.
Nous nous interrogerons également sur les spécificités esthétiques et éditoriales de cette production romanesque dont l’un des principaux éléments définitoires est l’âge de son lectorat.
Enfin, nous nous intéresserons aux différents aspects (cognitif, affectif et éthique) de l’expérience fictionnelle suscitée par la lecture de romans pour adolescents.
La question du rapport au «héros» sera abordée moins dans la perspective de la réception effective des oeuvres (qui implique des enquêtes auprès des lecteurs) que dans celle d’une analyse de ce que Vincent Jouve nomme «l’effet-personnage». En d’autres mots, nous chercherons à déterminer ce qu’il advient du «héros» dans la lecture en tenant compte à la fois des caractéristiques des figures construites par les textes et des modalités de la réception du personnage romanesque.
PROBLÉMATIQUE:
Comme le rappelle Nathalie Prince, «[l’]étude du personnage pose un véritable problème dans l’histoire de la critique littéraire» (Prince). De Philippe Hamon à Pierre Glaudes et Yves Reuter, en passant par Vincent Jouve, nombreux sont les théoriciens qui ont signalé la difficulté à saisir les différentes dimensions du personnage romanesque.
En effet, si le personnage est l’une des composantes indispensables à toute intrigue, son statut et sa fonction dans la structure narrative peuvent varier considérablement d’un récit à l’autre. Dans les romans pour adolescents, le personnage assume très souvent un rôle décisif dans la mesure où il est l’un des vecteurs privilégiés de l’illusion référentielle et de l’immersion fictionnelle. Cela conduit les auteurs à mettre en oeuvre des stratégies narratives particulières en ce qu’elles sont supposées cibler les attentes de leur lectorat.
Ainsi, de nombreux romans mettent en scène un narrateur intradiégétique, ou bien reprennent les codes et la forme du journal intime (parfois illustré), afin de créer un rapport de proximité avec le personnage. D’autres instaurent d’emblée une «tension narrative» (Baroni) dans le but de susciter l’intérêt de leurs lecteurs et de les impliquer, au côté des personnages, dans la résolution d’une énigme.
Cependant, quelles que soient les caractéristiques des dispositifs narratifs et l’effet qu’ils visent à produire sur le lecteur, c’est bien ce dernier qui, en dernière instance, donne vie au personnage et à l’oeuvre. Cela nous amènera à analyser conjointement les figures de (jeunes) «héros» que des romans pour adolescents proposent et les modalités de la réception de ces personnages par les lecteurs. En quoi, par exemple, le regard qu’un jeune Haïtien exilé à Montréal pose sur sa société d’accueil (Alexis, fils de Raphaël) peut-il amener un adolescent québécois à faire l’expérience de l’altérité en devenant l’Autre du sujet énonciateur? Dans un autre registre, dans quelle mesure les romans augmentés qui tendent à faire des personnages des personnes (qui tiennent un vrai blogue sur Internet ou qui manipulent les mêmes objets que ceux qui sont joints au roman, comme dans Cathy’s book) renouvellent-ils le rapport au héros fictionnel? Le personnage devient-il alors «celui qu’on connaît, que l’on aide, celui avec lequel on communique, avec lequel on devient ami» (Rio).
Ces questions, parmi d’autres, seront au coeur de la réflexion que nous mènerons dans ce séminaire. Nous serons ainsi conduits à examiner comment le statut et le rôle des personnages adolescents de romans jeunesse contemporains engendrent des relations qui oscillent entre «identification» du lecteur au personnage et «incarnation» du personnage dans l’univers du lecteur.