Notre programme de recherche propose une réflexion d'ensemble sur l'archive littéraire québécoise en tant que matière et mémoire de l'invention. En interrogeant les lieux et les sources de l'invention littéraire, notre réflexion sur l'archive repose sur la distinction introduite par Michel Foucault (1969) entre monuments et documents. Alors que l'approche traditionnelle ne retient des monuments du passé que leur valeur documentaire en les appréhendant comme des objets transitifs exploités à d'autres fins (Histoire, biographies, etc.), nous comptons pour notre part procéder à la description intrinsèque et à l'analyse de ces monuments. En effet, l'archive n'est pas un simple relais, une matière inerte à travers laquelle on pense autre chose : cette matière est surtout la trace d'une mémoire appelée à devenir force vive de l'invention littéraire.
L'originalité de notre programme de recherche tient autant à la richesse et à la nouveauté de notre corpus qu'à la façon dont nous conjuguons nos trois axes théoriques. Il s'agit ici d'interroger l'archive littéraire québécoise et de montrer en quoi celle-ci constitue tout à la fois un « lieu de mémoire » (Nora : 1984) et un espace d'invention. S'y donnent à lire les conditions d'émergence des Lettres québécoises aux XVIIIe et XIXe siècles (premiers lieux de la praxis et de la mémoire littéraires), aussi bien que, dans les brouillons et avant-textes contemporains, le geste même de l'écriture (particulièrement dans le corpus poétique du XXe siècle). Analysé par Jacinthe Martel du point de vue de la génétique littéraire, ce geste sera aussi étudié par Bernard Andrès et Marc-André Bernier dans une perspective historique et institutionnelle : l'évolution de « l'art de dire », de conter et de se raconter, l'art aussi de se remémorer les premiers exploits littéraires. Du geste créateur à la geste : ce récit par lequel des générations de lettrés se souviennent. L'archive comme matière et mémoire de l'invention.
Penser la trace, analyser le tissu textuel en lui-même, dégager les principes qui régissent son énonciation, autant de tâches où il importe d'être attentif aux effets de lecture induits par la matérialité des objets (différents types d'archives, de papier, d'écriture, de signatures, agrémentés ou non de graphismes peuvent faire sens et orienter l'analyse). Cette façon d'appréhender l'archive nous permet plus sûrement de cerner sa dimension esthétique et le discours social qui lui est coextensif. En amont, la démarche que propose notre programme de recherche invite à interroger les conditions d'apparition et d'exploitation de l'archive littéraire : dans quel esprit et à quelles fins historiens et archivistes ont-ils sélectionné et répertorié les fonds d'archives? À quelle logique énonciative répondent les états successifs d'un manuscrit et que révèlent-ils de l'invention chez le poète ou le romancier, le mémorialiste ou l'épistolier, l'orateur ou le pamphlétaire? En aval, que dire des réinvestissements littéraires et historiographiques auxquels l'artefact initial a donné lieu? Que nous apprennent ces pratiques sur le fonctionnement de l'institution littéraire? Plus largement, comment la société québécoise pense-t-elle l'archive, définit-elle le mémorisable, se dote-t-elle, enfin, d'une histoire et d'une littérature à enseigner et à commémorer? Comment, en un mot, se constitue ici un patrimoine écrit et s'invente une culture savante?