Ce séminaire a pour objectif d’examiner comment le «monstre» (terme qu’il faudra d’abord bien définir) a été perçu sur le plan scientifique. Depuis les recherches en tératologie d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et de son fils Isidore (entre les années 1820-1840) jusqu’aux possibilités offertes par les travaux en biologie moléculaire aujourd’hui (incluant le fantasme du clonage), la science a réfléchi sur l’exception, les anomalies, ce qui implique de s’interroger sur ce qu’on nommera une «éthique de la normalité». Le monstre fait souvent peur par sa différence, pour le meilleur ou pour le pire –ainsi, le «bricolage génétique» qui ouvre la voie à une transformation du corps «naturel» pousse certains à parler d’un «nouvel eugénisme» (aussi nommé eugénisme individuel, domestique ou libéral). Dès la deuxième moitié du XIXeet au tout début du XXe, on verra des romanciers aussi différents que Villiers de L’Isle-Adam, Alfred Jarry, Paul Bonnetain, H.G. Wells, Edmond About (pour ne prendre que quelques exemples) associer un regard médical à des monstres ou à des pathologies considérées monstrueuses, ce qui a été le point de départ d’un corpus immense, qui ne cesse de gonfler. Et cela sans compter bien sûr le Frankenstein de Mary Shelley, qui paraît presque au moment où Étienne Geoffroy Saint-Hilaire développe la science tératologique. Mais dès la naissance de la tératologie existe un imaginaire du monstre chez les scientifiques eux-mêmes: «N’a-t-on pas entendu Dareste revendiquer pour la tératologie la gloire de créer son objet? N’a-t-on pas vu Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et Dareste joindre, le premier avec timidité, le second avec assurance, les deux questions de la monstruosité et de la création des races», comme l’écrit Georges Canguilhem? Le biologiste crée aussi son objet. Le savant fou n’est-il pas lui-même souvent un monstre, et pas seulement sur le plan métaphorique?
Dès le XIXesiècle, on le constate, les lois de la nature ne se pensaient plus toujours comme des invariants essentiels pour les chercheurs qui s’intéressaient au vivant. Les écrivains les accompagnaient. Par ailleurs, la réflexion sur la monstruosité –et par le fait même sur la normalité– ne peut pas être entièrement objective. Parler du monstre signifie aussi parler d’idéologies et du politique.
Ce séminaire s’intéressera donc à l’imaginaire du monstre dans la fiction, une façon de parler du sujet, de l’être humain (comment le définir?), de l’altérité et de l’hybridité. Il reposera sur un arrière-plan à la fois historique (il faut évaluer l’évolution de la pensée scientifique et idéologique sur le sujet), sociocritique (les effets de résonance du discours médical et politique sur l’écriture fictionnelle) et épistémocritique (évaluer comment la fiction pense la science, et en particulier la science du vivant).