En 2007, Bastin observait, « au cours des 50 dernières années – c’est-à-dire depuis l’apparition de la traductologie – une évolution nette de l’objet de la réflexion sur la traduction […] du texte au traducteur » (2007 : 35). Dans la sphère de la traduction pragmatique, où les traductaires sont des prestataires de service, cette centration sur le facteur humain a donné lieu à des approches traductologiques telles que l’approche ergonomique, qui « mise d’abord sur la prédominance du facteur humain et sur le besoin d’adapter le travail à l’homme et non le contraire » (Lavault-Olléon 2011 : 6). En traduction littéraire, où les traductaires sont des auteur·ices, cette évolution peut naturellement conduire à la valorisation des aspects créatifs et, dans un contexte universitaire, à une démarche de recherche-création, d’autant plus justifiée dans un domaine où le lien entre théorie et pratique est considéré comme essentiel et où bon nombre de chercheur·es (les traductologues) sont aussi des créateur·ices (les traductaires) ayant vocation à former la relève.
La recherche-création ne consiste pas en la juxtaposition de la recherche à la création ni, en traductologie, en un simple commentaire de traduction, car « il n’est pas de recherche-création sans allées et venues entre l’œuvre et le processus de création qui la rend possible et la fait exister » (FRQSC). Qu’elle soit en « première personne » – lorsque l’artiste se penche sur sa propre pratique – ou en « troisième personne » – lorsque l’œuvre est analysée par des chercheur·es autres que l’artiste – (Boutet 2018 : 291), la recherche-création vise à « laisser place au processus dynamique de la composition » au lieu de considérer l’œuvre elle-même « dans sa fixité, voire sa sacralisation patrimoniale » (Petitjean 2020 : 131). Approche heuristique par excellence, elle va bien « au-delà de la seule théorisation de ses agirs par l’artiste, pour commencer aussi à déplier la vision du monde qui est repliée autant dans ses œuvres que dans son “œuvrer” » (Boutet 2018 : 295-296).
La présente réflexion se propose donc d’explorer les enjeux d’une approche de recherche-création appliquée à la traduction artistique ainsi qu’à son enseignement et aux perspectives qu’elle offre au sein de la traductologie contemporaine.
Isabelle Collombat est professeure de traduction à l'ÉSIT (École supérieure d'interprètes et de traducteurs) à l'Université Sorbonne Nouvelle. Elle est également traductrice agrée et membre du CRILCQ.
L'enregistrement de la conférence est disponible sur le site de l'Observatoire de l'imaginaire contemporain.