Les sentiments hostiles renvoient à trois études du philosophe hongrois Aurel Kolnaï (1900- 1973) : Le Dégoût (1929), L'Orgueil (1931) et La Haine (1935). Ancien élève d’Edmund Husserl, un temps proche du psychanalyste Sándor Ferenczi, inspiré par la pensée de Franz Brentano, Kolnaï demeure aujourd’hui pratiquement inconnu et peu étudié. Son étude sur Le Dégoût — un sujet bien étrange, selon Husserl, mais cependant lu avec une grande attention par Georges Bataille au moment où il rêvait de fonder une singulière hétérologie, censée mettre en lumière l’inquiétante efficacité du fascisme — est de loin l’analyse la plus saisissante d’un sentiment qui se situe à la limite du corps et de la psyché, de l’expérience physique et de la texture morale qui enveloppe notre relation à l’autre. C’était aussi, pour Kolnaï, d’origine et de culture juives, une manière de replacer l’analyse des sentiments hostiles — haine, orgueil et dégoût — sur l’arrière-plan social, culturel et politique d’un fascisme grandissant tout juste avant la Seconde Guerre mondiale. Par sentiments hostiles, en somme, il faut entendre les sentiments qui accélèrent la rupture du lien social ou qui font de l’espace social un cauchemar, à la fois intime et collectif, circonstanciel et historique. De son côté, la psychanalyse n’a cessé d’interroger l’hostilité qui parfois émerge de la relation analytique (l’agressivité de l’obsessionnel, la volonté d’angoisser du pervers, etc.) On dira alors que les sentiments hostiles nous renvoient aux sentiments qui divisent, qui font violence ou qui angoissent ; en somme, les sentiments qui constituent une menace pour le sujet et son autre, que ce soit, si l’on revient à Lacan, sous la forme d’une hontologie ou d’une logique de la jouissance.
Cette journée d’étude vise à réunir différentes approches qui permettraient de relancer une analyse des sentiments hostiles dans l’espace contemporain. Il faut dire que notre présent nous y confronte tous les jours : haine, colère, agressivité, intolérance, honte, angoisse, etc. Bien des sentiments, dit « négatifs », ne sont pas forcément « hostiles » (la colère a ses vertus, l’angoisse prévient, etc.), mais il demeure qu’il y a en eux comme un potentiel d’hostilité et un pouvoir d’inquiéter qui en font par moments des sentiments morbides, capables de briser et détruire. Par le biais de la littérature, du cinéma et de l’art en général — passant par la psychanalyse et la philosophie —, il s’agirait donc de réfléchir sur la définition précise du sentiment hostile, les formes contemporaines qui lui donnent corps, et qui nous permettent d’en mesurer la complexité.
Programme
9h30 – Mot d’ouverture
9h40 – Alexis Lussier, Université du Québec à Montréal : Aurel Kolnaï, le philosophe affecté ou l’acuité obsessionnelle du dégoût
10h00 – Martin Hervé, Université de Montréal : L'agir odieux de la littérature : affectivité, négativité et transitivité d'après Georges Bernanos
10h20 – Katrie Chagnon, Université Laval : Ruminations critiques
10h40 – Discussion
11h10 – Pause
11h30 – Louis-Daniel Godin et Karine Rosso, Université du Québec à Montréal : De l’hostilité entre psychanalyse et féminisme
11h50 – Louis-Paul Willis, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : Féminité et abjection : entre le non-rapport et l’hostilité
12h10 – Discussion
12h30 – Diner
14h00 – Anne Béraud (Pont freudien) : Hostilité et extimité
14h20 – Mercedes Rouault (New Lacanian School-Québec) : Jouissance et Ségrégation
14h40 – Discussion
15h00 – Pause
15h20 – Judith Sribnai, Université de Montréal : Sentiments intranquilles: «De l’incertitude» de Madeleine de Scudéry
15h40 – Cassie Bérard, Université du Québec à Montréal : Climat de contrôle: la violence de l’impossible insoumission
16h00 – Discussion
16h30 – Discussion sur la conception du Laboratoire avec les membres intéressé.e.s
L'enregistrement est disponible sur le site de l'Observatoire de l'imaginaire contemporain.