Dans la perspective des études actuelles sur la photographie et son intersection avec la littérature, nous étudierons un corpus de productions féminines situées à la jonction du récit et de la photographie, qui mettent en scène le visage féminin. Si l’image a la faculté de montrer, de « figurer », et si le récit a la faculté de raconter et de représenter, dans l’usage intermédial du récit et de la photographie, les femmes artistes et écrivains travaillent l’infigurable, la qualité insaisissable du visage. L’hypothèse sur laquelle repose ce projet est la suivante : contre la tendance réifiante des représentations stéréotypées des femmes, les photographes et écrivaines contemporaines explorent, par le biais du portrait et de l’autoportrait, la puissance de hantise du visage féminin et sa capacité de résistance. Sur cette toile apparaît une identité indéfinie, fuyante, démultipliée, inclassable. C’est par la rencontre des médias littéraire et photographique, dans ce face-à-face particulier et par l’interface qui en est issue, que naît l’infigurable visage féminin.
Ce programme de recherche s’inscrit dans la suite de nos projets sur le témoignage (Delvaux CRSH 2000), les récits de maladie et de deuil (en particulier le sida, Delvaux CRSH 1997, FCAR 1997), le fantôme et la spectralité (Delvaux CRSH 2000, Mavrikakis CRSH 1994, 1998) et, dans le cadre de notre subvention CRSH la plus récente, sur « Le spectre de soi. La mise en récit du sujet, entre la première et la dernière images ». Ce dernier projet abordait la spectralité du sujet depuis la double perspective du récit autobiographique et du travail photographique. Il s’agissait d’étudier la façon dont des auteurs/photographes nous proposent des récits de vie à partir de ce qui constitue et défait imaginairement le moi : les moments de la naissance et de la mort. Partant du travail accompli sur la spectralité de soi, le projet actuel concerne de façon précise l’infigurable visage féminin par le biais de portraits et d’autoportraits littéraires et photographiques féminins contemporains (1980-2005). Nous interrogerons la qualité proprement féministe de ces oeuvres et de ces pratiques.
Notre corpus principal sera composé d’oeuvres de photographes et d’écrivaines ,ainsi que d’artistes (européennes et américaines) qui combinent les deux pratiques, produites depuis 1980. Photographes : Cindy Sherman, Pipilotti Rist, Nan Goldin, Rebecca Bournigault, Vanessa Beecroft, Janieta Eyre, Ana Mendieta, Annette Messager, Sally Mann, Rineke Dijkstra, Orlan, Valérie Belin, Suzanne Lafont, Bettina Rheims, Isabelle Waternaux; Écrivaines : Marguerite Duras, Annie Ernaux, Anny Duperey, Camille Laurens, Anne-Marie Miéville, Marie Ndiaye, Anne-Marie Garat, Marie Darrieussecq; Photographes/écrivaines : Marie L., Sophie Calle, Alix-Cléo Roubaud, Valérie Mréjen, Anne Brochet.
Méthodologie :
- L’interface entre récit et photographie : a) Effets photographiques à l’intérieur du récit : fragmentation, causalité, cadrage, lumière; b) Effets narratifs dans la photographie : chronologie, sérialité, légendes.
- Le visage féminin et les marques de sa résistance aux stéréotypes : a) Marques de résistance des visages féminins photographiés : maquillage, masques, travestissement, voiles, nudité; cadrage, lumière; gros-plan et portraits en pied, répétition et portraits multiples; b) Marques de résistance des visages féminins narrés : fragmentation/morcellement, énonciation, répétition, fable/conte, ironie/satire, temporalité.
Au terme de ce projet, nous aurons non seulement rédigé conjointement des communications et articles mais terminé deux essais : le premier sur la photographe Nan Goldin et la diva Diamanda Galas, le second sur L’infigurable féminin.