Activité étudiante
Colloque
Fondé en 2015 par l’initiative des doctorantes Joyce Baker (UQAM) et Fanie Demeule (UQAM) et affilié à plusieurs cellules académiques (Figura, OIC, Pop-en-Stock, IREF) le groupe de recherche Femmes Ingouvernables s’intéresse aux formes et à l’expression d’irrévérence au féminin en culture populaire. Il tiendra en mai 2018 son troisième colloque international annuel. La thématique proposée, celle des postures créatives ingouvernables, s’est naturellement imposée suite aux réflexions évoquées lors des deux évènements précédents.
Inspirées par les travaux de Kathleen Rowe, nous avons postulé que la figure théorique de la femme ingouvernable échappait au rapport de pouvoir et de domination, s’en dérobait pour évoluer sous ses propres entendements. Par la mise en place d’une subjectivité inaltérable quelle confère à l’individu, l’ingouvernablité représente en quelque sorte une forme d’autoengendrement. Vu sous cet angle, il nous apparaît pertinent de considérer l’ingouvernable comme une créatrice de pouvoir dans ses manières de s’approprier le langage pour se tailler une place dans le réel. Si le sujet féminin est traditionnellement l’objet regardé (gaze) et discuté, l’ingouvernable impose sa parole et prend contrôle sur sa manière d’apparaître ou de disparaître du monde. En conférence, l’autrice Jill Solloway parle d’un female gaze pour désigner ce renversement d’un regard externe objectifiant en faveur d’une vision féminine incarnée. Pour elle, cette posture artistique ouvre la possibilité d’offrir une œuvre pourvue d’une densité intime, qui ne va pas sans rappeler les préceptes d’une Hélène Cixous, invitant les femmes à «lireécrire» pour ainsi libérer corps et discours de l’asservissement.
Nous l’avons vu lors de notre dernier colloque, l’ingouvernabilité se conçoit en groupe, entre elles, lorsque les femmes s’associent dans un esprit sororal. On peut penser à la création de la voix ingouvernable et de sa transmission à l’échelle d’une communauté, comme un pont entre le mutisme craintif et le bruissement dense d’une solidarité vigoureuse. Créer pour se battre, créer pour se guérir du silence qui tient trop souvent les femmes en otage.
À cet égard, qu’en est-il du legs d’une dissidence artistique? S’opère-t-il dans une lignée à descendance verticale, ou plutôt gigogne, les artistes prenant naissance l’une dans l’autre, l'une grâce à l'autre? Des collaborations d’autrices contemporaines telles que celles du groupe les Panthères rouges, ou entre Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, nous montrent la puissance vocale du processus collectif, comparable à celle d’un chant diatonique. Si le régime patriarcal célèbre l’unicité monolithique de la voix auctoriale, nous pensons que l’ingouvernance créative des femmes laisse toujours entendre une pluralité de timbres qui convergent sans jamais s’accorder parfaitement.
Nous proposons que la création ingouvernable est essentiellement profanatrice; pour rejoindre l’idée d’Agamben, elle fait sauter les gonds de la figure sacralisée de la femme, et s’empare de la fixité de son corps pour en jouer à sa guise. Elle répète la formule donnée pour vérité afin de lui tordre le cou, en faire un Cheval de Troie à partir duquel contaminer l’image, l’écrit, la voix, et ainsi rendre disponible ce qui était jusqu’alors considéré hors d’atteinte, intouchable. On pourra aussi envisager d’explorer les jeux avec les différents paramètres liés à la posture d’autrice, tels que la figure auctoriale, la persona médiatique, l’usage de pseudonyme(s), etc. Quand le corps devient canevas de projection d’une identité nomade, comme chez Cindy Sherman, ou encore mutante, transhumaniste, avec Orlan.
Existe-t-il une poétique ingouvernable? Quels sont ses mécanismes et ses manifestations? Qu’est-ce qui fait en sorte qu’une œuvre provoque une commotion sociale, résiste potentiellement à la lecture, ou encore s’ouvre à d’innombrables interprétations contradictoires? À ce propos, il sera intéressant d’investir les diverses rhétoriques ingouvernables et leur apport politique, par exemple la surexposition du corps sexué de même que son discours (Nelly Arcan, Virginie Despentes), l’humour et la dérision (Marianna Mazza, Amy Schummer), l’expression de la colère (Jamaica Kincaid, Kameron Hurley) ou la revendication de la tristesse ou de la maladie (figures de la sad girl et de la sickgirl).
Ainsi ce colloque souhaite penser la création artistique sous l’angle de l’ingouvernabilité et ce à travers toutes les postures disciplinaires, que l’on aura d’ailleurs tendance à vouloir hybrider: essayiste, romancière, cinéaste, poétesse, performeuse, photographe, dramaturge, peintre, artiste multidisciplinaire ou conceptuelle, sculpteure, bédéiste, fan artist, artiste activiste, danseuse, musicienne, et toutes ces autres créatrices dont les productions dépassent les catégories nomenclatrices et typologiques.
L'événement sera diffusé en simultané sur le site de l'OIC.
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