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Dante sous le Second Empire : héros de la liberté ou héraut de la réaction?

Projet de recherche

Période d'activité: 
2008 - 2009
Chercheur principal membre: 

Nul traducteur n’est une île, pourrait-on dire en paraphrasant John Donne. On traduit dans une société, et on retraduit en accord ou en désaccord avec les versions existantes. Ce projet de recherche a donc pour but de montrer comment la multiplication des retraductions de la Divine Comédie en France sous le Second Empire (1851-1870) est liée à la nature autoritaire du régime, aux rapports ambigus que Napoléon III entretient avec la situation d’une Italie en quête de son indépendance et, plus globalement, à l’évolution du statut de Dante dans le système littéraire français depuis l’Ancien Régime.

Le Second Empire se caractérise par une multitude de retraductions, de rééditions de traductions antérieures et, bien sûr, de premières traductions. Si cette situation n’a rien d’exceptionnel, la confrontation de ces trois types de textes permet cependant de comprendre comment différentes conceptions du rôle de la traduction et de la tâche du traducteur se mettent en place et, surtout, en quoi une vision nouvelle se développe dans une culture longtemps obsédée par le goût classique. Ce projet de recherche a donc également pour but de montrer que c’est par le phénomène de la retraduction, dans le cas particulier des multiples versions de la Divine Comédie de Dante publiées sous le Second Empire, que de nouvelles manières de traduire s’imposent en France au dix-neuvième siècle et que, parallèlement, ces nouvelles traductions du poème nourrissent la réflexion sur la liberté (par la situation politique de l’Italie de l’époque de Dante mise en rapport avec l’Italie du Risorgimento), ainsi que sur la distinction entre pouvoir religieux (représenté par l’autorité du pape) et pouvoir politique (représenté par les empereurs, qu’ils soient germaniques ou français).

Ces travaux sur les retraductions de la Divine Comédie de Dante se fondent sur le postulat que la traduction joue un rôle essentiel dans l’évolution de l’esthétique littéraire, mais aussi, inversement, que l’on retrouve dans la retraduction, lorsqu’un texte fait l’objet d’autant de versions au cours d’une seule et même période, les enjeux qui occupent une société. Alors que l’histoire littéraire tient rarement compte des traductions, mes recherches ont pour but de montrer comment les multiples traductions d’un seul et même texte sont les révélateurs des tendances qui agitent une société. Il est établi que les grandes œuvres littéraires font, par choix ou par nécessité, l’objet d’une nouvelle traduction à chaque génération. Les traductions de Milton, de Swift ou de Shakespeare qui convenaient au lectorat du dix-huitième siècle sont ainsi rapidement devenues inacceptables pour les lecteurs et les critiques du siècle suivant, que ce soit pour des raisons esthétiques ou idéologiques. Peu d’œuvres ont cependant fait l’objet d’autant de retraductions pendant une seule et même période d’une vingtaine d’années que la Divine Comédie entre 1851 et 1870, dans le contexte d’un régime politique autoritaire sous lequel, du moins pendant la première décennie, la censure est sévère. L’analyse des traductions de la Comédie publiées entre 1851 et 1870 a donc pour but de répondre à la question suivante : Dante est-il, pour les traducteurs et les critiques du Second Empire, un guelfe partisan du pape et du Vatican ou un gibelin partisan de l’empereur et de la séparation des pouvoirs religieux et politique?