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Enfin Vésale vint... : pour une histoire littéraire de la médecine.

Projet de recherche

Période d'activité: 
2010 - 2013
Chercheur·s membre·s: 

Depuis la Renaissance, une abondante littérature est consacrée au récit des conquêtes de la modernité: depuis le fier mais simple constat de rupture humaniste avec la « barbarie médiévale » jusqu'à l'élaboration par Condorcet et ses successeurs d'une véritable philosophie du progrès historique, ces récits ont entre autres pour fonction de définir par sa fondation la science nouvelle. Ils s'assemblent en une longue épopée rapportée à certaines figures emblématiques. Les biographies de ces héros, souvent présentés comme des martyrs immolés par le préjugé sur l'autel de la science, apparaissent comme autant de micro-récits ; transmises d'une génération à l'autre sans grand changement sinon un dépouillement progressif, elles reproduisent en abrégé les enjeux de l'épopée collective lors d'épisodes chargés sur le plan symbolique et qui font l'objet d'une tradition textuelle parfois vivante encore aujourd'hui. En ces icônes, on peut lire la conception que nos contemporains se font du progrès et de son prix.

 

La figure d'André Vésale (1514-1564) est l'une des plus dramatiques et ambiguës de ce panthéon. On fait crédit à l'anatomiste bruxellois, professeur à l'Université de Padoue puis médecin de Charles Quint, d'avoir vu et osé dénoncer les erreurs de Galien, qui n'avait jamais disséqué que des animaux et sur l'héritage duquel on avait jusqu'alors vécu. En 1543, lorsque La révolution des sphères célestes lance la « révolution copernicienne », Vésale fait paraître L'anatomie du corps humain, promis à une destinée pareillement glorieuse. Dès sa disparition, la légende s'empare de sa vie : ses prédisposition d'enfant, ses premières dissections à Paris, ses vols de cadavres dans les cimetières, les accusations de vivisection portées contre lui, son pèlerinage à Jérusalem, son naufrage et sa mort sont les temps forts de ce qui ressemble à une hagiographie scientifique. Il s'agit d'un fragment mythifié de l'histoire de la médecine, articulé sur le périlleux passage de l'erreur à la vérité. C'est pourtant moins le seul contenu idéologique de ce discours qui nous retiendra que son fonctionnement et le type de narrativité qu'il produit. Car cette histoire est pour nous une construction que les outils de la littérature permettent d’analyser ; et le « cas Vésale » articule les principales caractéristiques d’un discours du progrès sous la linéarité apparente de son récit.

Les années qui viennent seront consacrées à la collection dans le corpus d'histoire de la médecine écrit sous l'Ancien Régime en France des différentes versions de la légende vésalienne : il faudra comprendre la formation de ce récit de vie, ses résonances et les raisons de sa permanence pour mieux dégager la dynamique du savoir qu'il a contibué à instituer, le lent rejet de la médecine antique et médiévale devenue caduque. Ainsi, le projet propose, par le croisement d’un objet scientifique et d’une métodologie proprement littéraire, un double renouvellement de l’histoire de la médecine. D’une part, il mettra en valeur le rôle de premier plan qui fut attribué à Vésale pour construire le récit épique d’une histoire moderne des découvertes médicales. Dans cet esprit, il opposera la diffusion attestée des biographies légendaires de Vésale au silence relatif de l’histoire récente de la médecine sur le personnage, dont l’apport scientifique semble négligeable selon une perspective positiviste. On verra ainsi les linéaments narratifs d’une conception culturelle à la fois diffuse et encore active. D’autre part, il permettra de penser autrement l’histoire de la médecine, non plus comme une série d’avancées objectives menant des erreurs du passé jusqu’aux vérités actuelles, mais comme l’élaboration collective d’un récit fondateur avec les matériaux de la littérature : héros, épisode mythiques, thèmes récurrents, définition d’une communauté des destinataires.