Ce projet de recherche part d’un principe, qui semble aller de soi mais dont on ne voit pas toujours les implications : les sciences font partie de la culture. Ce qui signifie, d’une part, que les enjeux qui les concernent débordent évidemment des murs des laboratoires et irriguent l’ensemble du discours social, et, d’autre part, qu’au-delà de leurs réalisations, elles ont des effets imaginaires qui nourrissent les fictions. Ce sont ces ponts entre sciences et fictions qui se trouvent au cœur de cette recherche.
Dans la continuité de mes travaux des dernières années, le projet envisagé s’intéresse aux effets discursifs et fictionnels des sciences, à travers deux figures particulières: l’atome et le gène. Partant de l’idée que la littérature est une forme de savoir, transversale en quelque sorte, le projet pourrait succinctement s’énoncer sous la forme de deux questions : comment la physique fait-elle penser la littérature? Comment la biologie fait-elle penser la littérature? L’atome et le gène ont, dans la perspective de ce travail, plusieurs points communs sur le plan imaginaire : ils permettent d’embrasser deux grands champs disciplinaires des sciences, et aussi plusieurs autres (car sont concernées aussi la chimie, la médecine, etc.); ils sont invisibles à l’œil nu, ce qui permet de les penser, selon une longue tradition gnoséologique, dans un rapport entre voir et savoir qui, depuis les Grecs, ancre la connaissance dans la vision; ils forment l’un et l’autre une constellation, un vaste champ sémantique (cellule, hérédité, évolution, eugénisme, virus par exemple, d’un côté; énergie, quantique, nucléaire, bombe, radiation par exemple, de l’autre).
S’il est bien sûr impossible de penser ces questions sans les lier au discours scientifique, il ne s’agira pas uniquement de traiter de fictions entièrement alimentées par la science, mais de voir également en quoi et comment les figures de l’atome et du gène échappent parfois aux sciences, apparaissent comme une sorte de dérive à partir de celles-ci, pour s’inscrire dans un cadre narratif qui en traite peu ou semble, du moins, peu les aborder. Autrement dit, il s’agit d’analyser comment des réseaux sémantiques, alimentés par ces deux signifiants, permettent de renvoyer à la science, mais prennent aussi parfois une valeur métaphorique où la science ne se dessine qu’en creux.
L’intérêt sera aussi de suivre une filiation historique, à la fois dans les champs scientifique et littéraire : vérifier dans quelle mesure les modifications épistémologiques provoquées depuis la « modernité » des recherches touchant le gène et l’atome (grossièrement, depuis Darwin et Mendel dans le premier cas, depuis Curie et Rutherford dans le second) ont modifié, parallèlement, la manière dont les textes littéraires les ont inscrites dans la narration, comme embrayeur narratif, mode de connaissance, mais aussi, éventuellement, à travers différentes postures énonciatives, formelles, ou encore en dynamisant des sous-genres narratifs (science-fiction, anticipation, polar).