Traditionnellement fondée sur les paradoxes de l'espace, l'utopie se temporalise au cours des Lumières et se transforme en « uchronie » (d'après le grec : ou-chronos, temps hors du temps), préférant dès lors les lointains de l'histoire aux ailleurs d'une géographie fictive. Explorant les extrémités de l'histoire, s'inventant des origines fantasmatiques et des fins improbables, les uchronies constituent un corpus privilégié pour analyser, au coeur du siècle bourgeois, les pratiques narratives qui ont permis à la modernité d'appréhender les formes inédites sous lesquelles s'offrait l'expérience du temps historique. Que ce soit sous les modes d'une fascination endeuillée à l'égard des possibilités perdues du passé, d'un optimisme progressiste hanté par les figures de la mort, d'une vision apocalyptique de la disparition future de l'homme, l'uchronie expérimente à travers des temps altérés et divergents ce que Hegel désignait à l'aube du siècle comme « l'inquiétude et l'agitation absolue du devenir ».