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La théorie du récit à l'épreuve du romanesque contemporain : décalage ou aporie méthodologique ?

Projet de recherche

Période d'activité: 
2009 - 2012
Chercheur·s membre·s: 

 

Ce projet de recherche part d'une observation courante : le discours critique sur les oeuvres romanesques actuelles souffre d'un rapport décalé avec ses objets. D'une part, les configurations narratives spécifiques de ces oeuvres sont pensées, presque négativement, à l'aune d'une banalité, d'un manque d'action ou d'un éclatement de l'histoire qui viendraient dissoudre l'idée même du roman, à tout le moins qui tromperaient les attentes génériques des lecteurs. D'autre part, les lectures savantes mentionnent souvent explicitement leurs difficultés à décrire ces romans, à expliquer leur fonctionnement et à saisir leur poétique. Ces deux premiers constats suffisent déjà à repérer un malaise sensible dont nous souhaitons identifier les manifestations et, surtout, les motivations épistémologiques.

Dans cette conjoncture, le présent projet vise à investiguer la pertinence et l'adéquation des notions fondatrices de la théorie du récit dans le cadre d'analyses de la production romanesque actuelle, investigation à opérer par une confrontation des apories du discours critique et du caractère d'exception ou d'innovation qu'on reconnaît à tout un pan de la production romanesque contemporaine. Elle repose sur l'idée qu'une critique qui témoigne de ses propres limites, au-delà des enjeux proprement esthétiques posés par les oeuvres elles-mêmes, est largement fondée sur un rapport problématique entre pratiques littéraires et notions théoriques. Dans le cas qui nous occupe, ces notions sont principalement liées au champ de la narrativité. Elles révéleraient ainsi leur caractère ponctuellement inapproprié pour saisir les singularités des écritures contemporaines ; ce phénomène s'expliquerait par la définition initiale de la théorie du récit dans le contexte idéologique du structuralisme.

Il nous intéressera donc d'explorer plus avant cette relative inadéquation de la critique dans le contexte du roman français contemporain. Il s'agira d'abord d'évaluer, sur un corpus romanesque et critique restreint (soit quatre romanciers des Éditions de Minuit), les écueils méthodologiques rencontrés par les commentateurs des romans actuels et d'identifier les notions ou les procédés narratifs qui causent la déroute de la critique. Cette incursion dans le discours critique nous conduira ensuite à identifier, en amont, les notions cadres de la théorie du récit (telles l'intrigue et l'action) qui sont actuellement mobilisées dans cette critique. Dans le cadre d'une réflexion sur la cartographie générale de la théorie du récit et de ses diverses conceptions (philosophiques, cognitives, lecturales), les définitions canoniques des notions centrales seront évaluées en regard de leur possible arrière-plan idéologique. Enfin, en aval, nous tenterons de redéfinir ces notions jugées problématiques, après avoir procédé à des analyses sur la réception et sur le cadre théorique ; le retour critique sur huit romans sélectionnés parmi les productions des quatre roman¬ciers de Minuit constitue la dernière phase du projet, qui permettra à des déplacements théoriques d'être opérés en phase avec le roman actuel.

Alors que l'apport de la recherche le plus concret réside dans une meilleure compréhension des pratiques romanesques françaises contemporaines à travers le cas de figure singulier d'écrivains de Minuit, son apport le plus fondamental concerne très nettement la relecture épistémologique de la théorie du récit. Celle-ci est aujourd'hui banalisée, globalement passée dans le discours commun ; néanmoins, ses fondements structuralistes doivent être identifiés et reconnus comme tels, afin de permettre aux critiques d'opérer une historicisation de cette approche, une modulation de cette théorie adaptée aux corpus qu'elle décrit. C'est ainsi par le moyen d'une investigation sur la mythologie de la critique que nous entendons sonder les fondements de la narrativité contemporaine.