Depuis plus d’une vingtaine d’années, les représentations explicites de la sexualité hors du cadre des productions érotiques/pornographiques se multiplient sur nos écrans de télévision – comme dans plusieurs autres médias culturels (magazines, publicité, cinéma, etc.). Dans Screening Sex. Une histoire de la sexualité sur les écrans américains (2014 [2008]), L. Williams replace la prolifération d’images sexuelles (ou «pornographisation» de la culture contemporaine) dans le cadre d’une histoire sociale et culturelle de la sexualité (p. 11), en lien avec la révolution sexuelle des années 60 et 70, révolution qui «a permis une présence accrue du sexe sur les écrans» (p. 15). Selon I. Brey (2016), le média le plus révolutionnaire pour cette question est la série télévisée et ce sont les sexualités féminines qui sont l’objet principal de cette révolution. Notre projet se propose de documenter cette révolution sexuelle visuelle. Nous cherchons à mettre en lumière la représentation de la sexualité des femmes dans des séries télévisées dont le personnage principal, ou les personnages principaux, sont des femmes, dans le but de montrer comment cette représentation d’une part reconduit un certain nombre de normes et de codes, et d’autre part s’emploie à contourner, détourner, subvertir ces mêmes codes afin de redéfinir la place de la sexualité des femmes à la télévision. À ce titre, nous envisageons les séries comme un lieu éthique et politique de reconduction des normes, mais aussi de production de nouvelles normes susceptibles de bouleverser l’ordre établi.
Nos objectifs sont de 1) concevoir un appareil théorique permettent de penser ces représentations; 2) mettre au point un outil méthodologique pour les analyser; 3) dresser un portrait des représentations des sexualités féminines dans les séries télévisées. Le projet se situe au croisement de plusieurs champs disciplinaires: les études sur les médias, incluant les feminist media studies, les sexualities studies, les porn studies, les études culturelles et les études féministes. Il s’inspirera des travaux faits dans ces domaines et y participera à son tour.
Notre contribution à l’avancement des connaissances sera donc plurielle. Sur le plan théorique, nous proposons de passer par les recherches faites sur la pornographie pour analyser les représentations explicites de la sexualité. Nous voulons adapter ces travaux à des objets non pornographiques (les séries télévisées), c’est-à-dire analyser des représentations «pornographiques» dans des objets médiatiques mainstream, ce qui n’a pas été fait. Les quelques rares recherches effectuées sur la représentation explicite de la sexualité à l’écran ne se sont pas tournées vers les porn studies qui sont pourtant le plus à même d’analyser ces représentations. Par ailleurs, la prolifération de la sexualité explicite dans les séries, et du point de vue des personnages féminins, a peu fait l’objet d’investigation. Deux choses sont ici en jeu: à la fois la prise en compte de la migration de la pornographie hors de son médium et l’inflexion genrée de cette prise en compte, c’est-à-dire la pornographie hors de son cadre habituel et hors des codes et normes masculins. De plus, le développement d’un nouvel outil d’analyse pour étudier la représentation explicite de la sexualité dans les séries télévisées et un premier portrait de ces représentations seront particulièrement utiles pour le domaine en croissance des études sur les séries, pour les sexualities studies, et pour les études féministes (dont les études féministes sur les médias). Notre grille d’analyse pourra aussi s’adapter à d’autres formes médiatiques, artistiques et littéraires et donc trouver des applications dans d’autres domaines (e.g.: études littéraires et histoire de l’art).